Jean Bérard, Gilles Chantraine,

80 000 détenus en 2017 ?

Réforme et dérive de l'institution pénitentiaire

En juillet 2004, le nombre de personnes incarcérées en France a dépassé 64 000, un chiffre inconnu depuis la Libération. Il s’est depuis stabilisé au-dessus de 60 000 détenus, alors qu’il était de 48 216 en 2001, et de 38 639 en 1980. Ce record a été l’apogée (provisoire ?) d’un mouvement d’inflation carcérale qui, à quelques exceptions près, a marqué avec constance les trois dernières décennies. Il s’agirait alors de montrer à la fois la fonction de parcage de la prison pour des franges croissantes de population durablement écartées du marché du travail, et, plus largement, son rôle disciplinaire vis-à-vis de populations précarisées contraintes sous la menace pénale d’accepter la nouvelle donne sociale. Les États-Unis, avec une « industrie carcérale » florissante et plus de 2 000 000 de détenus, figureraient le sombre avenir de notre système carcéral.
Pourtant, en France, si la population détenue demeure dans son écrasante majorité constituée d’hommes jeunes en situation de grande précarité sociale, les motifs et les durées d’incarcération ont connu de profondes transformations qui mettent à l’épreuve l’univocité des interprétations : stabilisation et fluctuations significatives du nombre d’entrées (à la baisse en 1980 et 2002), augmentation du nombre de personnes suivies en « milieu ouvert » (plus de 120 000 aujourd’hui), allongement de la durée moyenne d’incarcération (de 4 à 8 mois), pourcentage croissant des personnes condamnées pour des atteintes aux personnes (notamment pour des infractions sexuelles), vieillissement de la population carcérale, etc.
Qui va en prison et pour combien de temps ? Qui n’y va plus ou moins et quelles réponses pénales sont apportées à leurs actes ou pas ?