Jason W. Moore

Jason Moore est historien, professeur à l’université de Binghamton (États-Unis). Spécialiste d’histoire agraire et environnementale, il est notamment l’auteur du Capitalisme dans la toile de la vie (L’Asymétrie, 2020) et, avec Raj Patel, de Comment notre monde est devenu cheap. Une histoire inquiète de l’humanité (Flammarion, 2018).

L’écologie-monde du capitalisme

Pourquoi il faut renoncer à la notion d’Anthropocène, qui renforce ce qu’elle prétend combattre.

Dans le discours scientifique et politique, la révolution industrielle s’est imposée comme le principal marqueur de l’entrée dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène. Avec l’invention de la machine à vapeur et l’essor des énergies carbonées, l’Humanité serait devenue une force transformatrice de la Nature. Or que signifie au juste « Humanité » ? Et ce récit est-il aussi neutre qu’il le prétend ? Ces interrogations sont au cœur de la réflexion de l’historien Jason Moore. Bien que la réalité de la pollution, du changement climatique, de l’épuisement des ressources soit incontestable, la manière de raconter et les personnages que l’on choisit déterminent la compréhension des faits, donc les solutions que l’on proposera.
Le récit de l’Anthropocène définit déjà une orientation politique. Il présuppose une séparation problématique entre Homme et Nature, socle idéologique de la destruction généralisée que l’on nomme aujourd’hui « crise écologique », qui a justifié la conquête planétaire menée par les pays occidentaux et l’émergence du capitalisme. Dans ce cadre de pensée, tout ce qui relève de la Nature est dévalorisé, donc exploitable à l’envi. Ainsi, la notion d’Anthropocène s’appuie sur cela même qu’il faudrait mettre en cause. Parler de Capitalocène, à l’inverse, c’est souligner l’intégration de l’ensemble de l’humanité dans le « tissu de la vie », proposer une périodisation historique plus longue, identifier les causes profondes de la crise planétaire et se donner les moyens d’en sortir.

Roberto Nigro

Roberto Nigro est professeur de philosophie et est le doyen de la faculté d’études culturelles de l’université Leuphana de Lüneburg. Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie, il a enseigné en Italie, en France, aux États-Unis et en Suisse. Ses intérêts théoriques portent sur l’histoire de l’opéraïsme et sur l’œuvre de Michel Foucault. Il travaille actuellement à une histoire intellectuelle de la « décennie rouge » en Italie et en Allemagne.

Deleuze et Guattari

« Au premier chapitre de L’Anti-Œdipe, et donc au seuil de leur œuvre, Deleuze et Guattari affirment  que le problème fondamental de la philosophie politique est le désir de servitude. »

L’œuvre de Deleuze et Guattari est une philosophie des devenirs-révolutionnaires, qui est à la fois ancrée dans son époque et en rupture avec elle. Dans L’Anti-Œdipe et Mille plateaux, Deleuze et Guattari veulent en effet : théoriser le potentiel révolutionnaire qui s’est manifesté en Mai 68 et qui a rouvert les possibles dans l’histoire, par une combinaison originale de révolution sociale et de révolution désirante (théorie des minorités) ; analyser les conditions qui ont permis le retournement de ce moment révolutionnaire en une vaste contre-révolution mondiale, avec les nouvelles formes de répression des minorités (théorie du néo-fascisme) ; et déterminer les moyens d’élargir la brèche ouverte dans l’histoire par le mouvement de Mai 68 et contribuer à dresser l’organisation révolutionnaire qui lui a fait défaut (théorie de la machine de guerre minoritaire et révolutionnaire). S’exprime là tout un effort pour revitaliser les forces sociales et en libérer le potentiel révolutionnaire. Cet horizon n’est-il pas encore le nôtre ?

Igor Krtolica

Igor Krtolica est maître de conférences en philosophie à l’Université Picardie-Jules Verne et directeur de programme au Collège international de philosophie. Son travail porte principalement sur la philosophie française contemporaine, ses sources dans l’histoire de la philosophie classique et moderne, et ses liens avec les arts et les sciences. Il travaille actuellement sur le rapport entre philosophie de la nature et philosophie politique. Il a publié en 2015 le « Que sais-je ? » sur Deleuze.

L’esclavage dans les mondes musulmans

L’esclavage dans les mondes musulmans suscite de nombreux fantasmes et de multiples instrumentalisations. Cet ouvrage propose une mise au point rigoureuse et informée sur ce sujet, afin de couper court aux polémiques qui l’entourent.

Objet d’études scientifiques mais aussi et surtout de passions politiques, l’esclavage dans les mondes musulmans suscite de nombreux fantasmes et de multiples instrumentalisations. Pour couper court aux inlassables polémiques qui entourent ce sujet prétendument tabou, M’hamed Oualdi l’aborde dans cet ouvrage en historien, c’est-à-dire d’une manière attentive à la fois à l’établissement des faits et à l’appréhension de leur complexité.
Contre la vision homogénéisante d’un esclavage « islamique » unifié qui ne sert qu’à relativiser la gravité de la traite atlantique, il souligne la diversité des traites au sein de ces mondes depuis la période médiévale et la pluralité des formes que prend la servitude en leur sein. Il pointe aussi le caractère ambivalent des politiques abolitionnistes mises en œuvre par les puissances européennes au XIXe siècle, avant d’interroger la persistance de l’esclavage et des traumatismes qui lui sont liés dans les sociétés arabes et musulmanes contemporaines. Des premières traites aux « post-esclavages », ce sont ainsi non seulement les étapes marquantes dans l’histoire de ces sociétés qui sont restituées, mais aussi la trajectoire et la parole de millions d’hommes et femmes asservis.

La nature du capital

Comment le capitalisme compose-t-il un monde à son image ?

La crise socio-écologique du capitalisme produit de profonds effets sur la pensée contemporaine, qui semble prise d’un véritable vertige ontologique. Face aux catastrophes en cours, on voit se multiplier les travaux qui s’inquiètent de la réalité de la nature et de la manière dont s’y inscrivent les sociétés, tout se passant comme si la philosophie et les sciences sociales cherchaient à recomposer en pensée un monde que l’accumulation du capital tend à décomposer.
Cet ouvrage constitue une intervention marxiste dans ces controverses ontologiques. Il propose une interprétation nouvelle des Manuscrits de 1844, texte dans lequel, pour la première fois, Marx analyse la nature du capital : son essence ou sa définition et le type de rapport qu’on y entretient à la terre et à ses habitants. Frédéric Monferrand y montre que l’appropriation matérielle de la nature, parce qu’elle est constitutive de toute vie sociale, représente à la fois le lieu stratégique d’une transformation radicale du monde où nous vivons et l’enjeu historique d’une libération du monde dont nous vivons.

Olivier Le Cour Grandmaison

Olivier Le Cour Grandmaison enseigne les sciences politiques et la philosophie politique à l’université Paris-Saclay-Évry-Val d’Essonne. Il est l’auteur, notamment, de Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (Fayard, 2005), La République impériale. Politique et racisme d’État (Fayard, 2009), De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français (Zones/La Découverte, 2010), L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (Fayard, 2014) et « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale (La Découverte, 2019).

Racismes d’État, États racistes

« Racismes d’État, xénophobie institutionnelle ou de même nature, discriminations systémiques engendrées par des politiques publiques ou favorisées par l’absence de prise en compte de leur gravité, ce sont là nos objets. »

Depuis un certain nombre d’années, les procès en communautarisme puis en séparatisme se sont multipliés. Procès intentés non plus seulement par les extrêmes droites, mais aussi par des responsables politiques soi-disant modérés et des intellectuels pour disqualifier les études consacrées aux discriminations systémiques. En république, grâce au principe d’égalité, le racisme ne saurait concerner les institutions : prétendre le contraire témoignerait d’outrances inacceptables car dangereuses pour l’unité nationale.
L’offensive a pris une telle ampleur qu’il fallait y apporter des réponses précises. Cet ouvrage retrace, entre autres, la genèse de deux concepts – ceux de racisme d’État et d’État raciste – dont il définit aussi les strictes conditions d’application. Soutenir, par exemple, que la xénophobie d’État affecte gravement certaines populations ne revient pas à comparer la France d’aujourd’hui à l’Afrique du Sud de l’apartheid. S’il est nécessaire de se garder de comparaisons hâtives, il est plus que jamais indispensable d’analyser les pratiques réelles, passées et présentes, des régimes dits démocratiques. Il en va de l’efficacité du combat contre tous les racismes et la xénophobie.

Pourquoi la classe compte

N’en déplaise à ses contempteurs, la classe est une catégorie indispensable à la compréhension des sociétés humaines.

Longtemps une catégorie d’analyse centrale du monde social, la classe a été marginalisée à partir des années 1980, sur fond de contre-révolution intellectuelle. Elle n’en demeure pas moins incontournable pour comprendre de nombreux phénomènes, des conflits sociaux aux politiques publiques en passant par les trajectoires professionnelles et la vie quotidienne.
Telle est la thèse que démontre Erik Olin Wright dans cet ouvrage, fruit d’une enquête au long cours menée dans une série de sociétés capitalistes. À distance des affirmations grandioses du matérialisme historique orthodoxe sur la « primauté » de la classe, Wright propose une étude méticuleuse et, pour ainsi dire, dépassionnée des différentes structures de classe observables en Occident, des relations qu’y nouent entre la classe et le genre, ainsi que de la manière dont la conscience de classe s’y forme et y produit des effets. Outre qu’elle permet de préciser certains concepts fondamentaux de l’analyse de classe, cette démarche constitue la tentative la plus aboutie à ce jour de bâtir une sociologie marxiste des classes – précisément parce qu’elle ne se limite pas à prêcher les convaincus.

Défaire voir

« Si l’hégémonie nous fige dans son imaginaire, ses signifiants, sa pulsionnalité, l’art, aussi bien que les sciences sociales – quoique très différemment -, peut entreprendre de nous en extirper. Pour peu qu’il s’en donne les moyens : qui passeront par un travail imaginaire et langagier analytiquement informé. Oui, c’est bien l’imagination et la langue qu’il faut travailler, mais dans le sens d’une précision sociale-historique. »

Il paraît que la littérature politique est dans un mauvais cas. On nous dit qu’elle n’a rien de littéraire, ni rien de politique. Rien de politique : elle est affaire de sermon déguisé. Rien de littéraire : toute forme en est la grande absente. Soit elle revendique trop ostentatoirement d’être du côté des opprimés, et elle est édifiante. Soit elle se pique de démontrer mais elle a oublié qu’elle n’était pas une science sociale. Il paraît aussi, heureusement, qu’il y a une troisième voie : éviter toute clarté – les vertus du surcroît et de l’ineffable feront le reste. Éventuellement.
En somme, on ne peut conjoindre forme, pensée et politique. C’est le trilemme de La-littérature-politique. Paralysie complète.
Eh bien non.

L’invention de la tradition

La défense des traditions passe souvent par la mise en avant de leur ancienneté : elles tireraient leur autorité de leur capacité à passer l’épreuve du temps. Pourtant, nombre de traditions présentées comme anciennes, y compris et surtout celles revendiquées comme constitutives d’une « culture nationale », sont en fait des inventions récentes.

À la croisée de l’histoire et de l’anthropologie, cet ouvrage pionnier montre comment les États-nations modernes en gestation – mais aussi les mouvements antisystémiques qui se développèrent en leur sein et les sociétés dites « traditionnelles » – ont délibérément cherché, souvent avec succès, à réinterpréter radicalement ou à inventer, parfois de toutes pièces, des traditions et des « contre-traditions ». Ils visaient ainsi à se légitimer, à s’inscrire dans la longue durée, à assurer la cohésion de la communauté ou encore à garantir le contrôle des métropoles impériales sur les sujets coloniaux. L’étude de ces processus d’invention renouvelle en profondeur la compréhension que nous avons des rites et des symboles qui fondent les constructions identitaires, et des liens entre passé et présent.