Cécile Gintrac est géographe, spécialiste de la géographie critique et des critical urban studies.
Auteur : Editions Amsterdam
Villes contestées
La ville ne peut plus se contenter de discours aseptisés, consensuels ou politiquement corrects. Le capitalisme mondialisé contemporain affecte si profondément les espaces urbains qu’il anéantit les idéaux de liberté, de rencontres et d’émancipation que les villes incarnaient naguère. Celles-ci méritent d’être bousculées, chahutées, contestées, et c’est précisément ce que ce recueil se propose de faire en réunissant pour la première fois un ensemble d’auteurs dont la critique n’épargne ni les espaces urbains, ni les élites qui les façonnent et les gouvernent. Les 11 textes rassemblés ici, traduits pour la première fois en français, constituent un panorama cohérent et exhaustif de la radical geography : les analyses, qui portent sur la gentrification, sur la financiarisation de la production urbaine, sur la dépossession du plus grand nombre de certaines ressources urbaines, sur les trompe l’œil que représentent le développement durable, la mixité sociale ou le multiculturalisme, sur les dispositifs de surveillance et de contrôle des populations, ou plus globalement sur les formes de domination qui régissent les rapports sociaux, sont unies par la volonté de pointer les contradictions urbaines du système néolibéral. Cet ouvrage, par sa double vocation pédagogique et militante, participe ainsi du projet d’émancipation voulu par les géographes radicaux, et défendu sur le terrain par un nombre croissant de citadins en lutte.
Daniel B. Monk
Daniel B. Monk dirige le programme d’études sur la Paix et les Conflits à Colgate University. Il est l’auteur de An Aesthetic Occupation: The Immediacy of Architecture and the Palestine Conflict (Duke University Press, 2002).
Paradis infernaux
Série d’études urbaines saisissantes sur Le Caire, Pékin, Johannesburg, Dubaï, Kaboul, Managua, etc., cet ouvrage pourrait être l’anti-guide des « mondes de rêve » engendrés par le capitalisme contemporain. L’imaginaire qui préside à ces nouvelles formes d’utopie est celui de l’enrichissement sans limites, de l’hyperbole constante, des dépenses somptuaires, de la sécurité physique absolue, de la disparition de l’espace public… Mais cette débauche réservée aux riches ne donne lieu à aucune expérience réelle ; elle est tout entière branchée sur les fétiches de la fantasmagorie mondiale, harnachée aux mêmes idéaux figés du marché global. L’absence d’horizon qui caractérise notre monde se redouble, dans ces outre-mondes, d’une violence faite aux pauvres, massés, toujours plus nombreux, derrière les frontières visibles ou invisibles qui transforment le territoire des riches en autant d’enclaves néo-féodales.
Soyez réalistes, demandez l’impossible
La crise actuelle n’est pas seulement de nature économique. L’effondrement que les pays occidentaux connaissent depuis 2008 a exacerbé une crise politique qui couvait depuis longtemps. De gesticulations en réunions au sommet, les gouvernants et leurs experts se révèlent incapables de rompre avec le néolibéralisme et n’ont qu’un mot à la bouche : austérité. Dans une prose acérée, Mike Davis analyse les causes d’un aveuglement qui conduit le monde entier vers la catastrophe. Mais c’est aussi dans ce contexte qu’est apparue une lueur d’espoir, d’Athènes à New York en passant par Madrid. Rassemblant souvent de nouveaux militants, des mouvements populaires comme Occupy sont partis à la reconquête de l’espace public, médiatique et politique. L’auteur salue la fièvre qui s’est emparée de pays que l’on croyait amorphes, raconte des vies militantes, réfléchit sur les leçons à tirer des mouvements de révolte passés et propose des solutions pratiques pour inscrire la contestation dans la durée. La situation impose de choisir entre un radical changement de cap et la mort à laquelle nous condamnent les politiques de rigueur. La gauche doit donc cesser d’être timorée ou simplement réactive pour construire une alternative concrète sur les plans politique, économique, social et écologique. Soyez réalistes, demandez l’impossible !
Le stade Dubaï du capitalisme
Village devenu métropole mondiale en moins de vingt ans, lieu de tous les superlatifs, Dubaï pourrait bien signaler l’émergence d’un stade nouveau du capitalisme, encore inconnu sous nos cieux : un système à la fois plus ludique, par la généralisation du loisir touristique et de la jouissance commerciale, et plus violent, entre chantiers esclavagistes et politique de la peur, grâce aux guerres qui font rage de l’autre côté du Golfe persique – soit une société sans vie sociale ni classe moyenne, pur mirage de gadgets sans nombre et de projets pharaoniques. L’analyse de Mike Davis pointe les rapports de force à l’œuvre derrière le phénomène Dubaï ; elle est complétée par une réflexion de François Cusset sur les défis posés aux démocraties occidentales par l’insolente réussite de Dubaï, Inc.
Dead Cities
La Grande Ville capitaliste, depuis son émergence, n’a cessé d’être associée au spectre de sa destruction. S’inscrivant dans la tradition marxiste d’Ernst Bloch, Mike Davis affirme que l’aliénation cognitive produite par la mise au ban de la nature a suscité une angoisse constante tout au long du XXe siècle. Dans une veine à la fois mélancolique et optimiste, l’auteur invite à une nouvelle science urbaine qui s’appuierait sur la « dialectique ville-nature ». Celle-ci permettrait d’envisager la ville dans la totalité des interactions qu’elle entretient avec son « dehors naturel », et de déjouer les limites actuelles des études urbaines. Cela passe ici par un travail spéculatif s’appuyant sur une hypothèse – la disparition de l’homme – et sur un extraordinaire corpus littéraire et scientifique, où les espèces végétales dansent sur les cendres de nos villes mortes.
Mike Davis
Mike Davis (1946-2022) a mené un travail d’anthropologie urbaine mêlant critique des rapports de domination et exploration des paysages imaginaires. Il est notamment l’auteur de City of Quartz (La Découverte) et du Stade Dubaï du capitalisme (Les Prairies ordinaires).
Gouverner par la dette
« Que devient l’homme endetté pendant la crise ? Quelle est sa principale activité ? La réponse est très simple : il paye. »
Experts, hommes politiques et éditorialistes sont unanimes : la dette qui grève les finances publiques entrave la croissance, fait exploser le chômage. Les États doivent à tout prix se désendetter s’ils veulent rassurer les marchés et retrouver le chemin de la prospérité. Le diagnostic de Maurizio Lazzarato est tout autre : la dette, dans le système capitaliste, n’est pas d’abord une affaire comptable, une relation économique, mais un rapport politique d’assujettissement et d’asservissement. Elle devient infinie, inexpiable, impayable, et sert à discipliner les populations, à imposer des réformes structurelles, à justifier des tours de vis autoritaires, voire à suspendre la démocratie au profit de « gouvernements techniques » subordonnés aux intérêts du capital.
La crise économique de 2008 n’a fait qu’accélérer le rythme de formation d’un « nouveau capitalisme d’État », qui organise une gigantesque confiscation de la richesse sociale par le biais de l’impôt. Dans un inquiétant retour à la situation qui a précédé les deux guerres mondiales, l’ensemble du procès d’accumulation est tout entier gouverné par le capital financier, qui absorbe des secteurs qu’il avait jusqu’alors épargnés, comme l’éducation, et qui tend à s’identifier avec la vie même. Face à la catastrophe en cours et au désastre qui s’annonce, il est urgent de sortir de la valorisation capitaliste, de nous réapproprier nos existences, savoir-faire, technologies et de renouer avec le possible en composant, collectivement, un front du refus.
Marcel Duchamp et le refus du travail
Dans l’abondante littérature consacrée à Duchamp, la thèse de Maurizio Lazzarato détonne : l’œuvre duchampienne ne s’oppose pas à l’institution artistique et ne se situe même pas à l’intérieur de l’art ; elle témoigne d’un refus pur et simple de faire de l’art et de se comporter en artiste. Ce refus possède de profondes conséquences. L’« anartiste » Duchamp vise les assignations sociales et l’accent trop souvent placé sur la production, dans le culte du génie comme dans l’apologie du travail en général. Il s’inscrit dans la continuité du mouvement ouvrier, qui fut aussi un non-mouvement : un arrêt de la production suspendant les rôles, les fonctions et les hiérarchies de la division du travail. L’« action paresseuse » duchampienne ouvre dès lors sur une autre éthique et une autre anthropologie de la modernité : en s’attaquant aux fondements du travail, elle cherche à opérer une transformation de la subjectivité, à inventer de nouvelles techniques d’existence et de nouvelles manières d’habiter le temps.
Évasion du Japon
La décennie 1960 est une période d’intenses bouleversements dans l’histoire du cinéma japonais. L’heure est à la libération sexuelle, à la contestation politique, aux mouvements citoyens contre la pollution industrielle : climat libertaire propice aux irrévérences, dont le monde cinématographique se fait comptable à travers une série de scandales. Mais l’accès du pays à la prospérité au tournant des années 1960, célébrée en grande pompe par les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964, semble dissiper cette angoisse, entraînant les cinéastes de la nouvelle génération vers d’autres modèles théoriques et esthétiques, aptes à rendre compte de la nouvelle société de consommation et de communication de masse. C’est cette grande mutation qu’Évasion du Japon propose d’explorer.
Lénine
Cette biographie claire, concise et sans complaisance s’intéresse au lien étroit entre les analyses de Lénine et son engagement politique. Issue de recherches pionnières, elle contient une documentation iconographique inédite qui permet de découvrir le leader d’Octobre avec sa famille et ses proches, ainsi qu’au sein de la société russe et du mouvement socialiste international. Elle propose une nouvelle lecture de son rôle dans l’avènement d’une révolution, qui nécessitait certes l’énergie de la multitude, l’impulsion d’un parti organisé, mais aussi une vision stratégique originale. Cette vision coïncide avec ce que Lars T. Lih appelle un « scénario héroïque », tentative de dépasser l’apparente contradiction entre la sobriété analytique du socialisme européen et l’horizon messianique du populisme russe : pour Lénine, le prolétariat, inspiré par son parti, doit se placer à la direction du peuple, dans sa marche vers la liberté politique et vers le pouvoir. Ce scénario romantique guide l’action de Lénine lorsqu’il construit le parti social-démocrate et sa fraction bolchevique en Russie, lorsqu’il se bat pour affirmer leur leadership sur la classe ouvrière, en dépit des conditions de la clandestinité, lorsqu’il incite le prolétariat à se porter à la tête des paysans pour renverser l’autocratie, enfin lorsqu’il appelle les ouvriers à s’emparer du pouvoir pour une révolution socialiste qui ne pourra se poursuivre qu’avec l’aide des travailleurs des autres pays. Face aux difficultés, Lénine ne cesse d’affiner sa perspective.
Lars T. Lih
Lars T. Lih est un chercheur indépendant. il est l’auteur de Bread and Authority in Russia, 1914-1921 (University of California Press, 1990) et de Lenin Rediscovered. What is to Be Done in Context (Brill, 2005), ainsi que de nombreux articles sur le mouvement révolutionnaire russe.
L’Énigme révolutionnaire
Si l’on en croit de nombreuses analyses médiatiques, scientifiques ou profanes des révolutions en cours, du monde arabe à l’espace postsoviétique, de la Grèce à l’Espagne, en passant par l’Amérique latine, la révolution est terminée. Pire : si elle est terminée, c’est en fait qu’elle n’a jamais eu lieu. Ceux qui y ont cru, ceux qui continuent d’y croire, sont des dupes, victimes d’une propagande d’État. L’objet de ce livre est de penser l’objet « révolution en cours », de construire son concept au ras de l’expérience, en rupture avec les approches sociologiques surplombantes. D’où un double parti pris : penser la révolution à partir des subjectivités qui s’y façonnent, dans un brouillage des identités sociales – c’est précisément ce brouillage qui explique l’incompréhension de la sociologie face à ce qui se joue dans des processus révolutionnaires ; ensuite, penser la révolution à partir non d’un exemple, mais d’un cas – celui du Venezuela contemporain. Un cas, dans la mesure où il est susceptible d’éclairer d’autres « révolutions en cours » et de rendre intelligible les rapports à soi, au politique et au temps qui s’élaborent dans ce type de processus. L’ouvrage ne se veut ni un ouvrage théorique sur le concept de révolution, ni une étude sur le Venezuela. Il se situe dans un entre-deux pour tenter de repenser la place et le statut du concept de révolution et ainsi, de percer à jour « l’énigme révolutionnaire ».
Federico Tarragoni
Federico Tarragoni est sociologue, maître de conférences à l’Université Paris-Diderot et chercheur au LCSP (Laboratoire de changement social et politique).
Petit manuel de critique
Désormais délestée de son autorité, à la portée de tous, la critique se cherche une nouvelle légitimité dans le monde 2.0, où chacun se livre à la compétition des goûts et à la passion des hit-parades.
En examinant d’un point de vue à la fois phénoménologique et pragmatique pourquoi la critique du goût n’est pas un supplément à l’expérience esthétique mais en est proprement constitutive, cet essai tente, par des exemples pratiques et avec Schiller, Hume ou Dewey de dégager des éléments de méthode pour partager notre « pulsion » critique sous l’horizon d’une communauté différentielle. Il s’agit donc de mettre à nu ce qu’on appelle « goût » en vue de mieux communiquer notre expérience du monde et d’établir des principes critiques au-delà du seul domaine de l’esthétique. Où l’on verra qu’une « bonne » critique est toujours créative et qu’au contraire de l’évaluation des performances qui règne dans l’ordre néolibéral, son rôle politique est d’ajourner infiniment la conclusion, c’est-à-dire la condamnation.