Luce Faber est un collectif qui porte l’espérance de tout ce qui s’éclaire par la raison, ici et à l’horizon. Raison sensible et partagée, elle tente d’en faire bon usage, elle fabrique, elle invente, elle recueille les voix publiques qui ont formulé ces doléances. Avec Luce Faber, la lumière est une tribu.
Auteur : Editions Amsterdam
Sophie Wahnich
Sophie Wahnich est directrice de recherches au CNRS-EHESS. Elle est notamment l’auteur de L’impossible citoyen : l’étranger dans le discours de la Révolution française (1997, nouvelle éd. Albin Michel, 2010), de La liberté ou la mort (La Fabrique, 2003), et de La longue patience du peuple. 1792, naissance de la République (Payot, 2008).
Histoire d’un trésor perdu
La Révolution française a été taraudée par une question : comment transmettre l’événement inouï aux générations qui ne l’auront pas vécu ? Les révolutionnaires ont alors cherché à inventer des institutions civiles qui permettraient d’entretenir le souvenir, mais surtout une tenue, une manière révolutionnaires d’être au monde. Cette question, ces institutions, les lieux et les pratiques qu’elles ont fait surgir, sont autant de laboratoires sociaux sensibles pour comprendre comment l’événement depuis 1789 a été régulièrement réinvesti mais aussi dénié, renié, travesti, désinvesti, au point de devenir une sorte de « trésor perdu » pour des héritiers sans testament. La Restauration, les années 1830-1848, le Second Empire, la Commune de Paris, la Troisième République, le début du XXe siècle socialiste, les années sombres, ont métabolisé cette séquence brève dans de grandes discontinuités. Et les affrontements mortifères ont perduré de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui. Loin d’une signalétique ambiguë faite de bonnets phrygiens, de bastilles à prendre et autres constituantes, ce livre invite à ne rien imiter mais aussi à ne rien négliger d’une histoire qui n’a pas été seulement libérale, d’une transmission qui n’a pas été seulement historiographique. Il invite, plus simplement, à retrouver la Révolution comme référence émancipatrice.
Les contributeurs :
Jolène Bureau prépare une thèse à l’université du Québec à Montréal (Canada), intitulée « Souvenirs de l’an II – 1793-1794 : du marché de la mémoire à l’historiographie de la Révolution française, 1815-1850 ». Ses recherches portent sur la « légende noire » de Robespierre, la mise en récit de Thermidor et les représentations de la Révolution et de l’idée de révolution dans l’historiographie, la littérature et au cinéma.
Marc Deleplace est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Paris-Sorbonne, Centre d’histoire du XIXe siècle. Il est l’auteur de L’anarchie de Mably à Proudhon (1750-1850) : histoire d’une appropriation politique, Lyon, ENS Éditions, 2001.
Jean-Numa Ducange est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Rouen. Il a publié La Révolution française et la social-démocratie : transmissions et usages politiques de l’histoire en Allemagne et Autriche 1889-1934 (PUR, 2012), et Socialisme et Révolution française (choix de texte de Kautsky et Jaurès, Demopolis, 2010).
Emmanuel Fureix est maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil, Centre de recherches en histoire européenne comparée (CRHEC), membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur de La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique, 1814-1840 (Champ Vallon, 2009, prix Chateaubriand).
Anna Karla était membre du groupe de recherche « La France entre Révolution et Restauration » à l’Institut historique allemand. Elle prépare une thèse en co-tutelle sur les Mémoires de la Révolution à l’EHESS et à l’université Humboldt de Berlin.
Olivier Le Trocquer est professeur agrégé d’histoire au lycée Rabelais à Paris, il a écrit de nombreux articles sur la mémoire et l’interprétation du 4 septembre 1870. Il travaille sur la construction de l’événement et les mémoires des années 1850-1880.
Guillaume Mazeau est maître de conférences en histoire moderne à l’université Paris-1 Panthéon Sorbonne, Institut d’Histoire de la Révolution française. Il est l’auteur du Bain de l’histoire (Champ Vallon, 2009).
Nathalie Richard est professeur d’histoire contemporaine à l’université du Maine (Le Mans, France), chercheuse au Centre de recherches historiques de l’Ouest et chercheuse associée au Centre Alexandre Koyré. Ses travaux portent sur l’histoire des sciences humaines et sociales au XIXe siècle. Elle a notamment publié Alfred Maury, érudit et rêveur. Les sciences de l’homme en France au milieu du XIXe siècle (avec Jacqueline Carroy, Presses universitaires de Rennes, 2007) et Hippolyte Taine. Histoire, psychologie, littérature (Garnier, sous presse).
Matthieu Giroud
Matthieu Giroud était géographe, maître de conférence à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Il est l’auteur de nombreux articles, et a coordonné plusieurs ouvrages, notamment D’une métropole à l’autre. Pratiques urbaines et circulations dans l’espace européen (avec C. Imbert, H. Dubucs, F. Dureau, Paris, Armand Colin, 2014).
Cécile Gintrac
Cécile Gintrac est géographe, spécialiste de la géographie critique et des critical urban studies.
Villes contestées
La ville ne peut plus se contenter de discours aseptisés, consensuels ou politiquement corrects. Le capitalisme mondialisé contemporain affecte si profondément les espaces urbains qu’il anéantit les idéaux de liberté, de rencontres et d’émancipation que les villes incarnaient naguère. Celles-ci méritent d’être bousculées, chahutées, contestées, et c’est précisément ce que ce recueil se propose de faire en réunissant pour la première fois un ensemble d’auteurs dont la critique n’épargne ni les espaces urbains, ni les élites qui les façonnent et les gouvernent. Les 11 textes rassemblés ici, traduits pour la première fois en français, constituent un panorama cohérent et exhaustif de la radical geography : les analyses, qui portent sur la gentrification, sur la financiarisation de la production urbaine, sur la dépossession du plus grand nombre de certaines ressources urbaines, sur les trompe l’œil que représentent le développement durable, la mixité sociale ou le multiculturalisme, sur les dispositifs de surveillance et de contrôle des populations, ou plus globalement sur les formes de domination qui régissent les rapports sociaux, sont unies par la volonté de pointer les contradictions urbaines du système néolibéral. Cet ouvrage, par sa double vocation pédagogique et militante, participe ainsi du projet d’émancipation voulu par les géographes radicaux, et défendu sur le terrain par un nombre croissant de citadins en lutte.
Daniel B. Monk
Daniel B. Monk dirige le programme d’études sur la Paix et les Conflits à Colgate University. Il est l’auteur de An Aesthetic Occupation: The Immediacy of Architecture and the Palestine Conflict (Duke University Press, 2002).
Paradis infernaux
Série d’études urbaines saisissantes sur Le Caire, Pékin, Johannesburg, Dubaï, Kaboul, Managua, etc., cet ouvrage pourrait être l’anti-guide des « mondes de rêve » engendrés par le capitalisme contemporain. L’imaginaire qui préside à ces nouvelles formes d’utopie est celui de l’enrichissement sans limites, de l’hyperbole constante, des dépenses somptuaires, de la sécurité physique absolue, de la disparition de l’espace public… Mais cette débauche réservée aux riches ne donne lieu à aucune expérience réelle ; elle est tout entière branchée sur les fétiches de la fantasmagorie mondiale, harnachée aux mêmes idéaux figés du marché global. L’absence d’horizon qui caractérise notre monde se redouble, dans ces outre-mondes, d’une violence faite aux pauvres, massés, toujours plus nombreux, derrière les frontières visibles ou invisibles qui transforment le territoire des riches en autant d’enclaves néo-féodales.
Soyez réalistes, demandez l’impossible
La crise actuelle n’est pas seulement de nature économique. L’effondrement que les pays occidentaux connaissent depuis 2008 a exacerbé une crise politique qui couvait depuis longtemps. De gesticulations en réunions au sommet, les gouvernants et leurs experts se révèlent incapables de rompre avec le néolibéralisme et n’ont qu’un mot à la bouche : austérité. Dans une prose acérée, Mike Davis analyse les causes d’un aveuglement qui conduit le monde entier vers la catastrophe. Mais c’est aussi dans ce contexte qu’est apparue une lueur d’espoir, d’Athènes à New York en passant par Madrid. Rassemblant souvent de nouveaux militants, des mouvements populaires comme Occupy sont partis à la reconquête de l’espace public, médiatique et politique. L’auteur salue la fièvre qui s’est emparée de pays que l’on croyait amorphes, raconte des vies militantes, réfléchit sur les leçons à tirer des mouvements de révolte passés et propose des solutions pratiques pour inscrire la contestation dans la durée. La situation impose de choisir entre un radical changement de cap et la mort à laquelle nous condamnent les politiques de rigueur. La gauche doit donc cesser d’être timorée ou simplement réactive pour construire une alternative concrète sur les plans politique, économique, social et écologique. Soyez réalistes, demandez l’impossible !
Le stade Dubaï du capitalisme
Village devenu métropole mondiale en moins de vingt ans, lieu de tous les superlatifs, Dubaï pourrait bien signaler l’émergence d’un stade nouveau du capitalisme, encore inconnu sous nos cieux : un système à la fois plus ludique, par la généralisation du loisir touristique et de la jouissance commerciale, et plus violent, entre chantiers esclavagistes et politique de la peur, grâce aux guerres qui font rage de l’autre côté du Golfe persique – soit une société sans vie sociale ni classe moyenne, pur mirage de gadgets sans nombre et de projets pharaoniques. L’analyse de Mike Davis pointe les rapports de force à l’œuvre derrière le phénomène Dubaï ; elle est complétée par une réflexion de François Cusset sur les défis posés aux démocraties occidentales par l’insolente réussite de Dubaï, Inc.
Dead Cities
La Grande Ville capitaliste, depuis son émergence, n’a cessé d’être associée au spectre de sa destruction. S’inscrivant dans la tradition marxiste d’Ernst Bloch, Mike Davis affirme que l’aliénation cognitive produite par la mise au ban de la nature a suscité une angoisse constante tout au long du XXe siècle. Dans une veine à la fois mélancolique et optimiste, l’auteur invite à une nouvelle science urbaine qui s’appuierait sur la « dialectique ville-nature ». Celle-ci permettrait d’envisager la ville dans la totalité des interactions qu’elle entretient avec son « dehors naturel », et de déjouer les limites actuelles des études urbaines. Cela passe ici par un travail spéculatif s’appuyant sur une hypothèse – la disparition de l’homme – et sur un extraordinaire corpus littéraire et scientifique, où les espèces végétales dansent sur les cendres de nos villes mortes.
Mike Davis
Mike Davis (1946-2022) a mené un travail d’anthropologie urbaine mêlant critique des rapports de domination et exploration des paysages imaginaires. Il est notamment l’auteur de City of Quartz (La Découverte) et du Stade Dubaï du capitalisme (Les Prairies ordinaires).
Gouverner par la dette
« Que devient l’homme endetté pendant la crise ? Quelle est sa principale activité ? La réponse est très simple : il paye. »
Experts, hommes politiques et éditorialistes sont unanimes : la dette qui grève les finances publiques entrave la croissance, fait exploser le chômage. Les États doivent à tout prix se désendetter s’ils veulent rassurer les marchés et retrouver le chemin de la prospérité. Le diagnostic de Maurizio Lazzarato est tout autre : la dette, dans le système capitaliste, n’est pas d’abord une affaire comptable, une relation économique, mais un rapport politique d’assujettissement et d’asservissement. Elle devient infinie, inexpiable, impayable, et sert à discipliner les populations, à imposer des réformes structurelles, à justifier des tours de vis autoritaires, voire à suspendre la démocratie au profit de « gouvernements techniques » subordonnés aux intérêts du capital.
La crise économique de 2008 n’a fait qu’accélérer le rythme de formation d’un « nouveau capitalisme d’État », qui organise une gigantesque confiscation de la richesse sociale par le biais de l’impôt. Dans un inquiétant retour à la situation qui a précédé les deux guerres mondiales, l’ensemble du procès d’accumulation est tout entier gouverné par le capital financier, qui absorbe des secteurs qu’il avait jusqu’alors épargnés, comme l’éducation, et qui tend à s’identifier avec la vie même. Face à la catastrophe en cours et au désastre qui s’annonce, il est urgent de sortir de la valorisation capitaliste, de nous réapproprier nos existences, savoir-faire, technologies et de renouer avec le possible en composant, collectivement, un front du refus.
Marcel Duchamp et le refus du travail
Dans l’abondante littérature consacrée à Duchamp, la thèse de Maurizio Lazzarato détonne : l’œuvre duchampienne ne s’oppose pas à l’institution artistique et ne se situe même pas à l’intérieur de l’art ; elle témoigne d’un refus pur et simple de faire de l’art et de se comporter en artiste. Ce refus possède de profondes conséquences. L’« anartiste » Duchamp vise les assignations sociales et l’accent trop souvent placé sur la production, dans le culte du génie comme dans l’apologie du travail en général. Il s’inscrit dans la continuité du mouvement ouvrier, qui fut aussi un non-mouvement : un arrêt de la production suspendant les rôles, les fonctions et les hiérarchies de la division du travail. L’« action paresseuse » duchampienne ouvre dès lors sur une autre éthique et une autre anthropologie de la modernité : en s’attaquant aux fondements du travail, elle cherche à opérer une transformation de la subjectivité, à inventer de nouvelles techniques d’existence et de nouvelles manières d’habiter le temps.
Évasion du Japon
La décennie 1960 est une période d’intenses bouleversements dans l’histoire du cinéma japonais. L’heure est à la libération sexuelle, à la contestation politique, aux mouvements citoyens contre la pollution industrielle : climat libertaire propice aux irrévérences, dont le monde cinématographique se fait comptable à travers une série de scandales. Mais l’accès du pays à la prospérité au tournant des années 1960, célébrée en grande pompe par les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964, semble dissiper cette angoisse, entraînant les cinéastes de la nouvelle génération vers d’autres modèles théoriques et esthétiques, aptes à rendre compte de la nouvelle société de consommation et de communication de masse. C’est cette grande mutation qu’Évasion du Japon propose d’explorer.
Lénine
Cette biographie claire, concise et sans complaisance s’intéresse au lien étroit entre les analyses de Lénine et son engagement politique. Issue de recherches pionnières, elle contient une documentation iconographique inédite qui permet de découvrir le leader d’Octobre avec sa famille et ses proches, ainsi qu’au sein de la société russe et du mouvement socialiste international. Elle propose une nouvelle lecture de son rôle dans l’avènement d’une révolution, qui nécessitait certes l’énergie de la multitude, l’impulsion d’un parti organisé, mais aussi une vision stratégique originale. Cette vision coïncide avec ce que Lars T. Lih appelle un « scénario héroïque », tentative de dépasser l’apparente contradiction entre la sobriété analytique du socialisme européen et l’horizon messianique du populisme russe : pour Lénine, le prolétariat, inspiré par son parti, doit se placer à la direction du peuple, dans sa marche vers la liberté politique et vers le pouvoir. Ce scénario romantique guide l’action de Lénine lorsqu’il construit le parti social-démocrate et sa fraction bolchevique en Russie, lorsqu’il se bat pour affirmer leur leadership sur la classe ouvrière, en dépit des conditions de la clandestinité, lorsqu’il incite le prolétariat à se porter à la tête des paysans pour renverser l’autocratie, enfin lorsqu’il appelle les ouvriers à s’emparer du pouvoir pour une révolution socialiste qui ne pourra se poursuivre qu’avec l’aide des travailleurs des autres pays. Face aux difficultés, Lénine ne cesse d’affiner sa perspective.