Explorant les représentations cartographiques de l’économie capitaliste depuis le XVIIIe siècle, la flânerie urbaine chez Benjamin, ou encore la déliquescence des images utopiques de la ville, les essais qui composent ce livre esquissent une histoire culturelle de la modernité tout en posant les fondements d’une anthropologie philosophique de l’image. De l’Art Nouveau au métro moscovite, du schéma managérial capitaliste au plan économique soviétique, l’analyse des imaginaires de la production et de la consommation dévoilent la réciprocité des utopies de l’Est et de l’Ouest. Sauver l’élan utopique qui les animait, ou bien encore briser l’anesthésie sensorielle qui fit le terreau du nazisme sont quelques-unes des tâches que notre époque hérite de la modernité. Dans ce cadre, l’image n’est pas une forme idéale et neutre, mais un vecteur politique, une prise sur l’histoire par laquelle peuvent se réactualiser les expériences passées et s’exprimer un désir qui animait déjà la pensée de Benjamin : celui de voir le capital.
Auteur : Editions Amsterdam
Susan Buck-Morss
Susan Buck-Morss est professeure de philosophie politique et de théorie sociale à l’université de Cornell. Son livre Hegel et Haïti a paru récemment en français (Lignes, 2006).
Zombies et frontières à l’ère néolibérale
En cherchant à décrire les causes et les mécanismes de la violence de la transition néolibérale en Afrique du Sud, les Comaroff développent une anthropologie historique de la « culture du capitalisme », de la manière dont le néolibéralisme imprègne l’univers symbolique. Les zombies qui prolifèrent aujourd’hui dans le nord du pays ne sont ni les signes d’un retour aux « traditions » ni les restes d’une supposée « irrationalité ». Ce sont au contraire l’une des réponses régionales aux évidences tacites du néolibéralisme, notamment à ces idées très répandues que l’on peut consommer sans produire, ou s’enrichir sans effort. Ils exemplifient cette promesse d’accumulation presque magique de la richesse qui séduit toujours plus d’habitants de la planète. Qu’est-ce que le zombie, sinon la contrepartie clandestine et ténébreuse de l’euromillion ? Et que sont les sociétés du Sud, sinon les laboratoires privilégiés pour comprendre ce que sont déjà, ou en passe de devenir, les sociétés du Nord ?
Jean et John Comaroff
Jean et John Comaroff, professeurs à l’université de Chicago, sont un couple d’anthropologues originaires d’Afrique du Sud dont l’œuvre aura durablement marqué le domaine anglophone de l’anthropologie sociale.
Graphes, cartes et arbres
Alors que le « vieux territoire » des études littéraires est soumis aux menaces du déclin et à des procès en inutilité, qu’il n’est plus guère arpenté que par quelques irréductibles, Franco Moretti semble bien décidé à en transformer la topographie avec les outils sauvages de l’objectivation scientifique : les graphes de l’histoire quantitative, les cartes de la géographie et les arbres de la théorie de l’évolution. Les premiers substituent au canon de l’histoire littéraire la totalité de la littérature mondiale. Les secondes donnent à voir les rapports réels et imaginaires que la littérature entretient avec son contexte historico-spatial. Les troisièmes osent une théorie de l’évolution des genres littéraires influencée par Darwin et la biologie contemporaine. Cette « lecture à distance » révèle une autre histoire littéraire : la connaissance des mécanismes de survie littéraire permet d’interroger les limites de notre curiosité pour les livres, de notre horizon culturel et de nos représentations du monde.
Le Retrait de la tradition suite au désastre démesuré
Après des décennies de guerre, de destructions, d’occupations, le monde arabe apparaît comme un monde en ruines. Mais il y a des ruines qui résistent aux reconstructions, les ruines immatérielles qui résultent de « désastres démesurés ». Cette notion renvoie au premier chef aux nombreuses années de guerre qui ont ravagé le Liban, mais elle désigne plus généralement les atrocités du XXe siècle, le génocide rwandais, ou encore la Shoah. L’artiste doit ressusciter le « non-mort » et amener la communauté à prendre conscience de son objet perdu. Il n’y a là nulle trace de nostalgie, nul désir de retour à une origine ou à une tradition authentique. L’artiste se situe ainsi dans le mince interstice séparant la mort de la vie. À travers une analyse essentiellement fondée sur la photographie et le cinéma, l’auteur nous offre une réflexion rare sur les pouvoirs de l’art et sur sa fonction politique, faisant écho aux analyses de Maurice Blanchot, Jacques Derrida, ou Georges Didi-Huberman.
Jalal Toufic
Jalal Toufic est un artiste, vidéaste et écrivain reconnu comme l’une des principales figures de la scène libanaise.
Jérôme David
Jérôme David est professeur de littérature à l’Université de Genève. Il est notamment l’auteur de Balzac, une éthique de la description (Honoré Champion, 2010).
Spectres de Goethe
La notion de « littérature mondiale » a donné lieu, depuis une quinzaine d’années, à des débats parfois très virulents dans un grand nombre de régions du monde. Ce terme désigne-t-il une réalité ou une idée, voire une utopie ? Un patrimoine esthétique universel ou le levier conceptuel d’une analyse critique ? Est-il suspect d’occidentalocentrisme ou permet-il, au contraire, de rendre justice aux cultures littéraires dites périphériques ? La plupart des réponses à ces questions s’autorisent aujourd’hui d’exégèses souvent antagonistes, mais toujours virtuoses, des quelques réflexions parfois sybillines que Goethe a consacrées à la Weltliteratur entre 1827 et 1832. C’est que l’écrivain allemand est unanimement considéré comme le précurseur d’une histoire véritablement comparée ou globale de la littérature. Ces multiples « retours à Goethe » ont pour effet de nous faire oublier que les propositions contemporaines ne sont pas de simples relances d’un projet qui n’attendrait, depuis près de deux siècles, que d’être enfin réalisé. Les réappropriations dont la notion de « littérature mondiale » a fait l’objet entre-temps ne peuvent pas être assimilées à des sortes de faux départs désormais négligeables. Elles tissent au contraire une histoire aux bifurcations méconnues : de Weimar à New York, en passant par Petrograd et Istanbul, de Marx à Moretti, en passant par Gorki, Auerbach ou Said, cet ouvrage relate les métamorphoses d’une ambition tour à tour cosmopolite, militante, éducative, humaniste et critique. Autant d’usages passés qui pèsent sur les controverses actuelles, et dont les traditions concurrentes forment un héritage à la fois méconnu et générateur d’innombrables malentendus.
Blockbuster
Le blockbuster, c’est de l’explosif. À l’origine de ce mot il y a la référence militaire à une bombe utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi nommée car elle était capable de détruire un îlot ou bloc d’immeubles. Si l’on devait résumer en une seule image la scène typique d’un blockbuster, ce serait peut-être celle d’une bombe qui fait tout sauter. Mais les déflagrations dont il s’agit dans ce livre ne sont pas uniquement celles que racontent les films. Produit cinématographique adressé au plus large public possible, confectionné grâce à d’immenses investissements financiers, le blockbuster lui-même se diffracte à travers le marché global sous forme de produits dérivés (T-shirts, figurines et autres gadgets). Le blockbuster ressemble à une bombe à fragmentation qui explose en se propageant, tel un atomiseur vaporisant son contenu et pulvérisant l’objet filmique dans des contextes de consommation marchande qui n’ont plus rien à voir avec le cinéma. Neuf auteurs, philosophes et critiques de cinéma, se penchent sur quelques blockbusters de leur choix. À chaque fois, ce sont les films eux-mêmes qui dynamitent la pensée et l’entraînent dans des directions inattendues.
Laura Odello
Laura Odello est philosophe, traductrice, directrice de programme au Collège international de philosophie. Ses recherches portent notamment sur l’image filmique et la déconstruction.
Penser le néocapitalisme
Depuis les années 1980, un nouveau type d’organisation économique s’est imposé à nos sociétés, porté par les idéologies et les politiques néolibérales, soutenu par la mondialisation : le néocapitalisme. Si de nombreux travaux ont examiné les causes et les effets d’une telle mutation, Stéphane Haber propose une enquête critique plus générale sur les concepts et les hypothèses guidant l’analyse des formes et des forces à l’œuvre dans la phase actuelle du capitalisme : quels sont les traits spécifiques du néocapitalisme ? Quelle ontologie sociale se trouve impliquée dans la mise en évidence de ses tendances propres ? Sur quelles bases peut s’appuyer la critique de ce néocapitalisme ? En fin de compte, l’ambition de dépasser le capitalisme reste-t-elle légitime ? Toutes ces questions travaillent profondément la théorie sociale contemporaine. Il s’agit ici de prouver, pour renouveler la philosophie politique, que la stratégie théorique la plus féconde consiste à comprendre le capitalisme et le néocapitalisme en fonction du modèle des puissances aliénées, détachées de la vie et poursuivant aveuglément leur propre expansion. Mais, bien que ces puissances réclament et obtiennent de nombreuses complicités du côté de la vie, elles ne forment pas encore un système absolu qui ne laisserait plus aucune place à l’action et à la liberté.
Stéphane Haber
Stéphane Haber est professeur à l’Université Paris-Ouest-Nanterre. Il a récemment publié L’Aliénation (PUF, 2007), L’Homme dépossédé (CNRS Éditions, 2009), Freud sociologue (Le Bord de l’eau, 2012) et Freud et la théorie sociale (La Dispute, 2012).
Fantômas !
Histoire culturelle d’un héros sériel.
Fantômas ! Ce nom a traversé le XXe siècle, contribuant à brouiller les lignes qui dessinent et scindent le monde de la création et des arts. À bien des égards, Pierre Souvestre et Marcel Allain, ses géniteurs, ont enfanté en 1911 une oeuvre monstre. Son gabarit, le réseau de fictions criminelles qu’elle a initié et son héros sont, littéralement, hors-normes.
Fantômas, revers obscur et grimaçant de notre monde, y invente, page après page, une violence sans visage, sans motivations et sans signification apparente.
Née dans la première collection de livres bon marché, la série des Fantômas a fasciné les avant-gardes des années 1920-1930, qui en ont loué le génie créatif et la puissance subversive. Le mythe du criminel voleur d’identités, tueur cruel, virtuose de la mise en scène morbide, a inspiré tableaux, films expérimentaux, textes poétiques et polémiques.
Jamais l’histoire de cette figure centrale de la France contemporaine n’avait été écrite à partir des archives de ses premiers auteurs, vampirisés par leur propre créature. Nourri par un travail de collecte inédit, cet ouvrage propose de relire Fantômas à la lumière des travaux qui ont questionné de manière décisive ces dernières années la place des fictions dans les sociétés contemporaines. Ici, la trajectoire du « Génie du crime » éclaire la structuration du champ littéraire, divisé entre littérature légitime et productions de grande consommation. Consacrant la toute-puissance de l’information et des faits divers, que Souvestre et Allain ont directement recyclés dans leurs romans, l’oeuvre apparaît bien comme « l’Enéide des temps modernes » que Blaise Cendrars a voulu y voir. La modernité du xxe siècle naissant y est, il est vrai, partout : grands magasins, chirurgie plastique, nouvelles techniques policières…
Comprend 20 illustrations couleur et 30 illustrations noir et blanc.
Loïc Artiaga
Loïc Artiaga est maître de conférences à l’Université de Limoges. Spécialiste d’histoire culturelle, il a publié Des Torrents de papier (PULIM, 2007), dirigé Le Roman populaire (Autrement, 2008) et préparé l’exposition virtuelle « Fantômas et l’Européenne du crime ». Il est l’auteur, avec Matthieu Letourneux, de Fantômas. Biographie d’un criminel imaginaire (Les Prairies ordinaires, 2013).
Matthieu Letourneux
Matthieu Letourneux, maître de conférences à l’université Paris-Ouest Nanterre, a notamment publié Le Roman d’aventures, 1870-1930 (PULIM, 2010).