Wal-Mart est la plus grande entreprise mondiale, le plus grand employeur privé du monde, le huitième acheteur de produits chinois (devant la Russie et le Royaume-Uni) ; son chiffre d’affaires est supérieur au PIB de la Suisse… Mais derrière tous ces superlatifs se cache l’histoire très singulière d’une société de l’Arkansas qui, en l’espace de quarante ans, a révolutionné les vieux modèles fordistes d’organisation du travail et bouleversé toute l’économie américaine. Alors que la marge de manœuvre des gouvernements demeure restreinte, Wal-Mart semble avoir aujourd’hui plus d’influence que n’importe quelle institution, non seulement sur des pans entiers de la politique sociale et industrielle américaine, mais aussi sur le modèle de vie et de consommation mondialisé, bigot et familialiste.
Auteur : Editions Amsterdam
Nelson Lichtenstein
Nelson Lichtenstein enseigne l’histoire du travail à l’université de Californie (Santa Barbara). Il est notamment l’auteur de State of the Union: A Century of American Labor.
Susan Strasser
Susan Strasser est spécialiste de l’histoire de la consommation. Elle enseigne à l’université du Delaware. Elle a notamment écrit Waste and Want: A Social History of Trash.
Walter Benjamin, sentinelle messianique
Écrit peu après la chute du Mur et initialement paru à l’automne 1990, cet ouvrage marque un point d’inflexion majeur dans le parcours tant théorique que politique de Daniel Bensaïd. Jusque-là absente du corpus du philosophe et dirigeant de la LCR, la pensée de Walter Benjamin s’est alors imposée à lui. Elle lui a fourni les points d’appui nécessaires à la réélaboration d’une pensée révolutionnaire et stratégique en période de défaite, au moment où le néolibéralisme hurlait au monde sa propre nécessité et annonçait imprudemment la fin de l’histoire. Il fallait rompre, alors, avec la vulgate positiviste marxiste, qui ne voyait dans l’histoire que la mécanique inexorable du Progrès. Cette conception théologique avait déjà fait bien des dégâts ( très tôt perçus, en plein cauchemar des années 1930, par Benjamin); elle avait été en partie responsable de l’apathie des classes subalternes et de la bureaucratisation « communiste ». Elle était, au début des années 1990, parfaitement homogène au triomphe autoproclamé des « démocraties occidentales ». Il fallait donc, avec Benjamin, revendiquer à nouveau la charge explosive du messianisme juif, s’ouvrir à la théologie et à l’événement, et se tourner vers les vaincus de l’histoire pour les réintégrer aux forces de la révolution à venir. Aujourd’hui, autant sinon plus qu’il y a vingt ans, ce livre de Daniel Bensaïd, en réhabilitant un Walter Benjamin politique (plutôt qu’esthète ou critique comme on le présentait alors), nous encourage à guetter le moment où la bifurcation révolutionnaire devient possible, à devenir, à notre tour, des sentinelles messianiques.
Voir le capital
Explorant les représentations cartographiques de l’économie capitaliste depuis le XVIIIe siècle, la flânerie urbaine chez Benjamin, ou encore la déliquescence des images utopiques de la ville, les essais qui composent ce livre esquissent une histoire culturelle de la modernité tout en posant les fondements d’une anthropologie philosophique de l’image. De l’Art Nouveau au métro moscovite, du schéma managérial capitaliste au plan économique soviétique, l’analyse des imaginaires de la production et de la consommation dévoilent la réciprocité des utopies de l’Est et de l’Ouest. Sauver l’élan utopique qui les animait, ou bien encore briser l’anesthésie sensorielle qui fit le terreau du nazisme sont quelques-unes des tâches que notre époque hérite de la modernité. Dans ce cadre, l’image n’est pas une forme idéale et neutre, mais un vecteur politique, une prise sur l’histoire par laquelle peuvent se réactualiser les expériences passées et s’exprimer un désir qui animait déjà la pensée de Benjamin : celui de voir le capital.
Susan Buck-Morss
Susan Buck-Morss est professeure de philosophie politique et de théorie sociale à l’université de Cornell. Son livre Hegel et Haïti a paru récemment en français (Lignes, 2006).
Zombies et frontières à l’ère néolibérale
En cherchant à décrire les causes et les mécanismes de la violence de la transition néolibérale en Afrique du Sud, les Comaroff développent une anthropologie historique de la « culture du capitalisme », de la manière dont le néolibéralisme imprègne l’univers symbolique. Les zombies qui prolifèrent aujourd’hui dans le nord du pays ne sont ni les signes d’un retour aux « traditions » ni les restes d’une supposée « irrationalité ». Ce sont au contraire l’une des réponses régionales aux évidences tacites du néolibéralisme, notamment à ces idées très répandues que l’on peut consommer sans produire, ou s’enrichir sans effort. Ils exemplifient cette promesse d’accumulation presque magique de la richesse qui séduit toujours plus d’habitants de la planète. Qu’est-ce que le zombie, sinon la contrepartie clandestine et ténébreuse de l’euromillion ? Et que sont les sociétés du Sud, sinon les laboratoires privilégiés pour comprendre ce que sont déjà, ou en passe de devenir, les sociétés du Nord ?
Jean et John Comaroff
Jean et John Comaroff, professeurs à l’université de Chicago, sont un couple d’anthropologues originaires d’Afrique du Sud dont l’œuvre aura durablement marqué le domaine anglophone de l’anthropologie sociale.
Graphes, cartes et arbres
Alors que le « vieux territoire » des études littéraires est soumis aux menaces du déclin et à des procès en inutilité, qu’il n’est plus guère arpenté que par quelques irréductibles, Franco Moretti semble bien décidé à en transformer la topographie avec les outils sauvages de l’objectivation scientifique : les graphes de l’histoire quantitative, les cartes de la géographie et les arbres de la théorie de l’évolution. Les premiers substituent au canon de l’histoire littéraire la totalité de la littérature mondiale. Les secondes donnent à voir les rapports réels et imaginaires que la littérature entretient avec son contexte historico-spatial. Les troisièmes osent une théorie de l’évolution des genres littéraires influencée par Darwin et la biologie contemporaine. Cette « lecture à distance » révèle une autre histoire littéraire : la connaissance des mécanismes de survie littéraire permet d’interroger les limites de notre curiosité pour les livres, de notre horizon culturel et de nos représentations du monde.
Le Retrait de la tradition suite au désastre démesuré
Après des décennies de guerre, de destructions, d’occupations, le monde arabe apparaît comme un monde en ruines. Mais il y a des ruines qui résistent aux reconstructions, les ruines immatérielles qui résultent de « désastres démesurés ». Cette notion renvoie au premier chef aux nombreuses années de guerre qui ont ravagé le Liban, mais elle désigne plus généralement les atrocités du XXe siècle, le génocide rwandais, ou encore la Shoah. L’artiste doit ressusciter le « non-mort » et amener la communauté à prendre conscience de son objet perdu. Il n’y a là nulle trace de nostalgie, nul désir de retour à une origine ou à une tradition authentique. L’artiste se situe ainsi dans le mince interstice séparant la mort de la vie. À travers une analyse essentiellement fondée sur la photographie et le cinéma, l’auteur nous offre une réflexion rare sur les pouvoirs de l’art et sur sa fonction politique, faisant écho aux analyses de Maurice Blanchot, Jacques Derrida, ou Georges Didi-Huberman.
Jalal Toufic
Jalal Toufic est un artiste, vidéaste et écrivain reconnu comme l’une des principales figures de la scène libanaise.
Jérôme David
Jérôme David est professeur de littérature à l’Université de Genève. Il est notamment l’auteur de Balzac, une éthique de la description (Honoré Champion, 2010).
Spectres de Goethe
La notion de « littérature mondiale » a donné lieu, depuis une quinzaine d’années, à des débats parfois très virulents dans un grand nombre de régions du monde. Ce terme désigne-t-il une réalité ou une idée, voire une utopie ? Un patrimoine esthétique universel ou le levier conceptuel d’une analyse critique ? Est-il suspect d’occidentalocentrisme ou permet-il, au contraire, de rendre justice aux cultures littéraires dites périphériques ? La plupart des réponses à ces questions s’autorisent aujourd’hui d’exégèses souvent antagonistes, mais toujours virtuoses, des quelques réflexions parfois sybillines que Goethe a consacrées à la Weltliteratur entre 1827 et 1832. C’est que l’écrivain allemand est unanimement considéré comme le précurseur d’une histoire véritablement comparée ou globale de la littérature. Ces multiples « retours à Goethe » ont pour effet de nous faire oublier que les propositions contemporaines ne sont pas de simples relances d’un projet qui n’attendrait, depuis près de deux siècles, que d’être enfin réalisé. Les réappropriations dont la notion de « littérature mondiale » a fait l’objet entre-temps ne peuvent pas être assimilées à des sortes de faux départs désormais négligeables. Elles tissent au contraire une histoire aux bifurcations méconnues : de Weimar à New York, en passant par Petrograd et Istanbul, de Marx à Moretti, en passant par Gorki, Auerbach ou Said, cet ouvrage relate les métamorphoses d’une ambition tour à tour cosmopolite, militante, éducative, humaniste et critique. Autant d’usages passés qui pèsent sur les controverses actuelles, et dont les traditions concurrentes forment un héritage à la fois méconnu et générateur d’innombrables malentendus.
Blockbuster
Le blockbuster, c’est de l’explosif. À l’origine de ce mot il y a la référence militaire à une bombe utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi nommée car elle était capable de détruire un îlot ou bloc d’immeubles. Si l’on devait résumer en une seule image la scène typique d’un blockbuster, ce serait peut-être celle d’une bombe qui fait tout sauter. Mais les déflagrations dont il s’agit dans ce livre ne sont pas uniquement celles que racontent les films. Produit cinématographique adressé au plus large public possible, confectionné grâce à d’immenses investissements financiers, le blockbuster lui-même se diffracte à travers le marché global sous forme de produits dérivés (T-shirts, figurines et autres gadgets). Le blockbuster ressemble à une bombe à fragmentation qui explose en se propageant, tel un atomiseur vaporisant son contenu et pulvérisant l’objet filmique dans des contextes de consommation marchande qui n’ont plus rien à voir avec le cinéma. Neuf auteurs, philosophes et critiques de cinéma, se penchent sur quelques blockbusters de leur choix. À chaque fois, ce sont les films eux-mêmes qui dynamitent la pensée et l’entraînent dans des directions inattendues.
Laura Odello
Laura Odello est philosophe, traductrice, directrice de programme au Collège international de philosophie. Ses recherches portent notamment sur l’image filmique et la déconstruction.
Penser le néocapitalisme
Depuis les années 1980, un nouveau type d’organisation économique s’est imposé à nos sociétés, porté par les idéologies et les politiques néolibérales, soutenu par la mondialisation : le néocapitalisme. Si de nombreux travaux ont examiné les causes et les effets d’une telle mutation, Stéphane Haber propose une enquête critique plus générale sur les concepts et les hypothèses guidant l’analyse des formes et des forces à l’œuvre dans la phase actuelle du capitalisme : quels sont les traits spécifiques du néocapitalisme ? Quelle ontologie sociale se trouve impliquée dans la mise en évidence de ses tendances propres ? Sur quelles bases peut s’appuyer la critique de ce néocapitalisme ? En fin de compte, l’ambition de dépasser le capitalisme reste-t-elle légitime ? Toutes ces questions travaillent profondément la théorie sociale contemporaine. Il s’agit ici de prouver, pour renouveler la philosophie politique, que la stratégie théorique la plus féconde consiste à comprendre le capitalisme et le néocapitalisme en fonction du modèle des puissances aliénées, détachées de la vie et poursuivant aveuglément leur propre expansion. Mais, bien que ces puissances réclament et obtiennent de nombreuses complicités du côté de la vie, elles ne forment pas encore un système absolu qui ne laisserait plus aucune place à l’action et à la liberté.