Gopal Balakrishnan,

L’Ennemi

Un portrait intellectuel de Carl Schmitt

Quelle est la part qui demeure vivante dans ce que nous a légué la figure controversée de Carl Schmitt ? Pour tenter d’évaluer son actualité, il convient d’évoquer ce que notre situation historique a de commun avec la sienne : l’incertitude de plus en plus forte qui pèse sur la viabilité de certains aspects fondamentaux du statu quo mondial. Au sortir de la guerre froide, l’affirmation de l’imminence d’une fin libérale-démocrate de l’Histoire et l’extension irrésistible du marché mondial aux dépens des États-nations préfiguraient, pensait-on, les tendances lourdes du quart de siècle à venir. Or, voici tout à coup que certaines de ces caractéristiques majeures de l’époque semblent en voie de dissolution.

Nous assistons aujourd’hui au remplacement controversé des « droits de l’homme » par l’« antiterrorisme » et « le choc des civilisation », à la désignation de l’Islam comme figure de l’ennemi dudit Occident, à la montée inattendue des tensions entre les États-Unis et l’Europe continentale, à la remise en cause, pour la première fois en trente ans, de la crédibilité militaire de l’État américain à mesure qu’une guerre partisane se déchaîne sur les rives du Tigre, à la fragilisation des accords de non-prolifération, ainsi que – et c’est là peut-être l’élément le plus significatif de ce tableau – à la menace de turbulences économiques dues à la dette d’un État américain non solvable et à ses déficits, lesquels pourtant constituent le moteur de l’économie mondiale.

En portant le regard plus loin encore, il est aussi possible de discerner, et peut-être de penser, à nouveau, une politique de négations et d’affirmations radicales. Pour le meilleur ou pour le pire, l’actualité de Carl Schmitt va bientôt devenir plus évidente.

Traduction : Diane Meur,
Couverture : NW Hauptstaatsarchiv, Nachlaß. Carl Schmitt : RW 265-21563.