La fabrique de l’homme endetté

La dette, tant privée que publique, semble aujourd’hui une préoccupation majeure des « responsables » économiques et politiques. Dans La Fabrique de l’homme endetté, Maurizio Lazzarato montre cependant que, loin d’être une menace pour l’économie capitaliste, elle se situe au cœur même du projet néolibéral. À travers la lecture d’un texte méconnu de Marx, mais aussi à travers la relecture d’écrits de Nietzsche, Deleuze, Guattari ou encore Foucault, l’auteur démontre que la dette, loin de n’être qu’une réalité économique, est avant tout une construction politique, et que la relation créancier/débiteur est le rapport social fondamental de nos sociétés. La dette n’est pas d’abord un dispositif économique, mais une technique sécuritaire de gouvernement et de contrôle des subjectivités individuelles et collectives, visant à réduire l’incertitude du temps et des comportements des gouvernés. Selon la logique « folle » du néolibéralisme – qui prétend substituer le crédit aux salaires et aux droits sociaux, avec les effets désastreux que la crise des subprimes a illustrés de façon dramatique –, nous devenons toujours davantage les débiteurs de l’État, des assurances privées et, plus généralement, des entreprises, et nous sommes incités et contraints, pour honorer nos engagements, à devenir les « entrepreneurs » de nos vies, de notre « capital humain » ; c’est ainsi tout notre horizon matériel, mental et affectif qui se trouve reconfiguré et bouleversé. Comment sortir de cette situation impossible ? Comment échapper à la condition néolibérale de l’homme endetté ? Si l’on suit Maurizio Lazzarato dans ses analyses, selon lesquelles la dette est avant tout un instrument de contrôle politique et l’expression de rapports de pouvoir, force est de reconnaître qu’il n’y pas d’issues simplement techniques, économiques ou financières. Il nous faut remettre en question radicalement le rapport social fondamental qui structure le capitalisme : le système de la dette.

John Bellamy Foster

John Bellamy Foster est, avec Barry Commoner, James O’Connor et Joel Kovel, une des figures les plus importantes de l’écosocialisme aux USA. Il enseigne la sociologie à l’université de l’Oregon et dirige depuis 2000 la prestigieuse Monthly Review. Il est notamment l’auteur de Marx’s Ecology. Materialism and Nature (Monthly Review Press, 2002).

Frantz Fanon

Si, depuis le début des années 2000, après des années d’occultation, la figure de Fanon fait retour dans les champs académique et militant francophones, c’est avant tout pour célébrer « l’homme d’action », le révolutionnaire, au détriment de « l’homme de pensée », du théoricien. Cette approche presque exclusivement biographique tend à faire de Fanon un dépassé et, par suite, un « dé-pensé ». Elle se révèle en outre étroitement liée à la défiance teintée de méconnaissance à l’égard de la diffusion des études postcoloniales dans les universités françaises.

Il est vrai que, si les études postcoloniales et les études fanoniennes anglophones ont eu l’indéniable mérite de réhabiliter Fanon en tant qu’intellectuel et penseur de tout premier ordre, il est légitime de leur reprocher d’avoir également opéré une certaine décontextualisation tendant à gommer la singularité de l’intervention théorique et politique du psychiatre martiniquais.

Si nous désirons aujourd’hui faire de Fanon notre contemporain, il est donc nécessaire d’aller au-delà du conflit des interprétations qui oppose les figures exclusives du « Fanon anticolonial » (historique) et du « Fanon postcolonial  », au-delà de cet écartèlement entre un passé et un futur qui privent Fanon de tout présent. Il faut s’attacher à comprendre le moment fanonien en tant que moment transitionnel, il faut déceler dans ses écrits le commencement d’un certain postcolonialisme au sein de l’anticolonialisme, d’un postcolonialisme de guerre qui révèle, par contraste, les difficultés de la critique postcoloniale actuelle à théoriser la violence et à penser ensemble, dans la lignée de Fanon, guerre et décolonisation des savoirs. Tel est l’enjeu de ce portrait théorique en situation.

Stéphane Dufoix

Stéphane Dufoix est maître de conférences en sociologie à l’Université de Paris-Ouest Nanterre (laboratoire Sophiapol) et membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur de Les Diasporas, Paris, PUF, 2003 et de Les Mots de l’immigration (avec Sylvie Aprile), Paris, Belin, 2009. Il a coédité L’Esclavage, la colonisation, et après…, Paris, PUF, 2005 (avec Patrick Weil), ainsi que Loin des yeux, près du cœur. Les États et leurs expatriés, Paris, Presses de Sciences-Po, 2010 (avec Carine Guerassimoff et Anne de Tinguy).

La Dispersion

Les trente dernières années ont vu le mot diaspora prendre une place considérable dans les discours universitaire, politique, juridique et même journalistique. Ces usages contemporains, qui prennent et construisent diaspora comme un terme représentatif de notre époque « globale », occultent l’histoire complexe d’un mot qui a eu au cours du temps des utilisations fluctuantes, voire contradictoires, bien au-delà de son sens initial intimement lié à l’histoire du peuple juif.

La Dispersion est le contraire d’une tentative de définition, c’est une cartographie des usages de diaspora : de l’émergence des différents emplois du mot, de son appropriation par des groupes sociaux différents, de son succès croissant. C’est l’occasion d’un voyage de plus de deux millénaires sur les traces de ce mot, depuis sa création au IIIe siècle avant l’ère chrétienne jusqu’à ses transformations les plus récentes et son entrée dans le lexique des organisations internationales, en passant par sa réinterprétation par les protestants au XVIe siècle, sa reconfiguration par le mouvement sioniste et son adoption par les mouvements noirs-américains au XXe siècle.

Les usages de diaspora, aujourd’hui dispersés tant géographiquement que sémantiquement, ont très peu été questionnés. C’est désormais chose faite, avec ce travail qui replace la question des usages du mot dans le temps long de ses trajectoires complexes.

Bertrand Ogilvie

Bertrand Ogilvie est professeur de philosophie, psychanalyste, ancien directeur de programme au Collège international de philosophie. Il enseigne à l’Université Paris Ouest Nanterre. Il est l’auteur de Lacan. Le sujet (PUF, 1987), La seconde nature du politique (L’Harmattan, 2012). Il a collaboré à L’Europe, l’Amérique, la guerre d’Étienne Balibar (La Découverte, 2003) et à l’édition des Œuvres de Fernand Deligny (L’Arachnéen, 2007).

L’Homme jetable

L’époque moderne, qui s’est ouverte avec les révolutions industrielles et l’universalisation du salariat, a engendré de nouvelles formes de violence. Parallèlement aux formes classiques de l’affrontement, de la guerre, du massacre, sont apparues des violences structurelles liées à la réorganisation économique et politique de la vie des êtres humains. Un mouvement d’exterminisme généralisé se fait jour, qui instrumentalise et institutionnalise les catastrophes naturelles, et qui organise l’utilisation et la consommation intégrale des forces de travail, la mise à mort de populations entières. Les exterminations des Arméniens, des Juifs, des Tsiganes, et la perspective d’une auto-destruction de l’humanité (avec Hiroshima, le développement d’armes chimiques et les atteintes irréversibles portées à la biosphère) apparaissent ainsi comme des symptômes majeurs du xxe siècle, qu’aucune réflexion philosophique ne devrait négliger. Désormais, la violence ne s’intéresse plus seulement aux comportements des êtres ou à leurs représentations, mais à leur statut même de vivants, à leur simple présence. Il ne s’agit ainsi plus simplement de cynisme et d’absence de préoccupation de l’avenir de la part des pouvoirs : ces formes nouvelles de violence entraînent une chosification systématique des êtres. La violence moderne est une violence naturalisée, rendue irreprésentable, réduite à une simple « gestion ». L’être humain n’est plus seulement superflu ou surnuméraire. Confronté pour la première fois dans l’histoire à la transposition dans le champ politique de l’irreprésentable du réel, à des formes de violences qui tentent de s’imposer comme l’expression d’une nature inéluctable, il est devenu « jetable ».

Eric Hobsbawm

Historien britannique de renommée mondiale, Eric Hobsbawm est l’un des membres fondateurs de la revue Past and Present. Il est notamment l’auteur d’une série de synthèses de référence( L’Ère des révolutions, L’Ère du capital, L’Ère des empires, et L’Âge des extrêmes) ainsi que de travaux consacrés à l’histoire du banditisme social.

L’Invention de la tradition

Depuis sa parution en anglais, L’Invention de la tradition n’a pas cessé d’être cité et commenté, en Grande-Bretagne comme ailleurs. Le concept de « tradition inventée » fait aujourd’hui partie du patrimoine des sciences sociales et de l’histoire. Les différentes études réunies dans ce recueil décrivent comment les États-nations modernes en gestation, mais aussi les mouvements antisystémiques qui se développèrent en leur sein et les sociétés dites « traditionnelles », ont délibérément cherché, souvent avec succès, à réinterpréter radicalement ou à inventer, parfois de toutes pièces, des traditions et des « contre-traditions » pour se légitimer, s’inscrire dans la longue durée, assurer la cohésion de la communauté ou encore garantir le contrôle des métropoles impériales sur les sujets coloniaux.

Homo­nationalisme

Dans le monde de l’après-11 Septembre, l’idéologie du « choc des civilisations » se combine à celle d’un « choc des sexualités ». Nous aurions d’un côté le monde occidental, tolérant et libéral, de l’autre le monde musulman, sexiste et homophobe.

Une part non négligeable du mouvement gay états-unien, en quête d’intégration et de respectabilité, s’est ainsi engagée sur la voie d’une normali­sation « homonationaliste » et soutient les guerres « contre le terrorisme ». Parallèlement, la réception américaine des images de torture d’Abu Ghraib met en évidence les difficultés du féminisme et de la pensée queer à penser les questions de race et d’impérialisme.

C’est à l’analyse de cette intrication complexe entre politique des sexualités et projets impérialistes occidentaux, qui fait pendant à la question de l’instrumentalisation du discours féministe par des politiques racistes et impérialistes, qu’est consacré Homonationalisme.

Nous sommes les indigènes de la république

« La France a été un État colonial… La France reste un État colonial.  » En janvier 2005, l’Appel des Indigènes de la république était lancé, signé par de nombreux militants politiques et associatifs ainsi que des intellectuels. Par la suite structurés en mouvement puis en parti, les Indigènes de la république proposent depuis sept ans une réinterprétation radicale, à travers les catégories de colonialité et de races sociales, des problématiques et des conflits qui traversent la société française : racisme et antiracisme, luttes de l’immigration et des quartiers populaires.

Leur démarche a influencé tant les forces de gauche que les militants de l’immigration et des quartiers et marqué les questionnements de nombreux chercheurs et intellectuels. Cependant, beaucoup encore ne connaissent que leur Appel fondateur, ou quelques uns des nombreux textes qu’ils ont publiés. À travers cette anthologie de textes produits par Houria Bouteldja, Sadri Khiari et d’autres militants des Indigènes, on découvrira une réflexion politique novatrice en mouvement, articulée à une pratique militante qui bouscule le champ, finalement très conservateur, de la gauche antiraciste. Cette anthologie est accompagnée d’un entretien inédit mené par Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem : c’est l’occasion pour Houria Bouteldja et Sadri Khiari de restituer toutes les étapes traversées par le Parti des indigènes de la république et de poser les défis de demain.