Florian Vörös

Membre du comité de rédaction de la revue Porn Studies, Florian Vörös enseigne la sociologie de la culture et de la communication à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et a soutenu en 2015 une thèse sur les usages sociaux de la pornographie et les constructions de la masculinité à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Le Rayonnement de la France

Au lendemain d’une Seconde Guerre mondiale dévastatrice et à l’heure des premières décolonisations, c’est par le biais de son développement nucléaire que la France a cherché à montrer sa « grandeur », sa « mission civilisatrice » ininterrompue, en un mot, son « rayonnement ».
Dès ses débuts en 1948 avec le réacteur Zoé et tout au long de son histoire, l’enjeu du nucléaire français est inextricablement technique et politique. Gabrielle Hecht suit les relations tourmentées entre décideurs politiques et ingénieurs ; elle analyse l’organisation du travail dans les principaux sites nucléaires ; elle plonge dans la vie quotidienne des communautés qui vivent à proximité des centrales et fait revivre les débats syndicaux et politiques qui ont secoué la France. Partout, au-delà des oppositions, elle retrouve la même obsession : celle de la technologie nucléaire comme composante fondamentale de l’identité nationale française.

Spinoza et les sciences sociales

Que les sciences sociales du XXIe siècle puissent trouver à s’inspirer d’un penseur du XVIIe a sans doute de quoi surprendre. Il est vrai que, commençant avec la cause de soi, la substance et Dieu, la philosophie de Spinoza semble tout avoir pour décourager le non-philosophe… Elle n’en finit pas moins avec les passions individuelles et collectives, les institutions et l’imaginaire social, la constitution des corps politiques et leurs crises, les dynamiques de la rébellion – questions clés des sciences sociales. C’est pourquoi on ne devrait pas s’étonner de voir ici Spinoza dialoguer avec Foucault, Bourdieu, Mauss, Tarde ou Durkheim. Ni de voir les concepts spinozistes mis à l’œuvre dans l’analyse des affects communs, de la médiasphère de l’opinion, de la reconnaissance, des collectifs de travail comme communautés d’action, ou de la monnaie comme institution. Le tournant des années 1980 a vu la découverte d’un Spinoza politique, penseur de la puissance de la multitude, révélant une figure largement méconnue par la tradition critique antérieure. Ce mouvement de réinvention trouve ici son prolongement logique, dans un ouvrage qui esquisse une autre figure inédite : la possibilité d’un devenir spinoziste des sciences sociales.

Ce volume rassemble des contributions d’Yves Citton, Christian Lazzeri, Frédéric Lordon, Antonio Negri, André Orléan, Aurélie Pfauwadel, Pascal Sévérac et Philippe Zarifian.

Tumultes et indignations

S’il est deux expressions qui reviennent en permanence dans la pensée politique aujourd’hui, ce sont sans doute celle de « crise » et de « puissance ». En quoi ces deux notions, loin de s’opposer, se nourrissent-elles mutuellement, au point de former une boucle conceptuelle qui a dynamisé tout le développement de la modernité ? En quoi est-ce en entrecroisant les pensées de Machiavel et de Spinoza que l’on peut le mieux comprendre cette solidarité profonde entre crise et puissance ? Telles sont les questions qui servent de fil rouge à ce livre qui s’adresse à la fois aux amateurs d’histoire de la philosophie et aux esprits avides de mieux comprendre les ambivalences de la modernité.
En mettant en scène un dialogue conceptuel entre Machiavel et Spinoza, Filippo del Lucchese court-circuite quelques-unes des oppositions les plus largement répandues et néanmoins les plus aveuglantes : il montre que la « nécessité » spinozienne n’est nullement incompatible avec la « contingence » machiavélienne, mais que toute intervention politique doit au contraire savoir exploiter des développements nécessaires pour être à même de saisir l’occasion de changer le monde. De même ne faut-il jamais opposer « la logique des institutions » (collectives) à « l’économie des affects » (individuels) : on ne peut commencer à se repérer dans le champ politique qu’en prenant conscience qu’elles constituent les deux faces d’une même pièce. Ce livre nous montre que le tumulte n’est pas synonyme de « chaos » et que l’indignation ne se réduit jamais à une simple « passion ».
C’est seulement en prenant la mesure du tumulte des crises et en s’appuyant sur la puissance rationnelle des indignations que peuvent s’imposer ensemble la nécessité et la possibilité d’une transformation radicale de nos sociétés.

Femmes publiques

Nous ne nous prononçons pas dans ce livre pour ou contre « la » prostitution. Nous souhaitons comprendre ce qui nous apparaît incompréhensible : la désolidarisation, ces dernières années, en particulier en France, des féministes avec les personnes prostituées. C’est au fond une mise à l’épreuve des féminismes qui est ainsi proposée à l’aune de la prostitution. Mais il ne s’agit pas de faire un sort au féminisme, dont nous sommes partie prenante. Il s’agit plutôt, à partir d’un état des lieux des forces en présence, de la situation sur le terrain et des législations en vigueur, de penser la possibilité d’une nouvelle alliance entre les différents courants féministes et les prostitué-es – alliance qui n’évacuerait ni aspérités ni paradoxes, mais qui chercherait, dans une perspective pragmatique, à renforcer par la réduction des risques la capacité d’agir des personnes concernées afin qu’elles puissent œuvrer à leur propre émancipation. On trouvera ainsi dans ce livre un manifeste engagé en faveur de cette nouvelle alliance, mais aussi un essai informé qui permet de faire le point sur les réalités et les savoirs de la prostitution.

Et tant pis pour les gens fatigués

Loin d’être accessoire, la réalisation d’entretiens fait partie intégrante du travail de Jacques Rancière. D’entretien en entretien, Rancière s’est toujours attaché à commenter et à expliciter son parcours et ses interventions en en exposant les inflexions et les continuités ; à opérer un travail de définition, de redéfinition et de démarcation par rapport à d’autres interventions théoriques ; à montrer le caractère indissociable de ses textes sur la politique, l’esthétique, l’art, le cinéma et la littérature ; à apporter des réponses aux objections et interrogations soulevées par ses écrits.
Sorte de cartographie en mouvement de la pensée de Jacques Rancière, ce recueil, qui contient notamment des entretiens difficilement accessibles ou inédits en français, constitue un outil indispensable pour tous ceux qui s’efforcent de définir les termes d’une politique démocratique radicale aujourd’hui.

80 000 détenus en 2017 ?

En juillet 2004, le nombre de personnes incarcérées en France a dépassé 64 000, un chiffre inconnu depuis la Libération. Il s’est depuis stabilisé au-dessus de 60 000 détenus, alors qu’il était de 48 216 en 2001, et de 38 639 en 1980. Ce record a été l’apogée (provisoire ?) d’un mouvement d’inflation carcérale qui, à quelques exceptions près, a marqué avec constance les trois dernières décennies. Il s’agirait alors de montrer à la fois la fonction de parcage de la prison pour des franges croissantes de population durablement écartées du marché du travail, et, plus largement, son rôle disciplinaire vis-à-vis de populations précarisées contraintes sous la menace pénale d’accepter la nouvelle donne sociale. Les États-Unis, avec une « industrie carcérale » florissante et plus de 2 000 000 de détenus, figureraient le sombre avenir de notre système carcéral.
Pourtant, en France, si la population détenue demeure dans son écrasante majorité constituée d’hommes jeunes en situation de grande précarité sociale, les motifs et les durées d’incarcération ont connu de profondes transformations qui mettent à l’épreuve l’univocité des interprétations : stabilisation et fluctuations significatives du nombre d’entrées (à la baisse en 1980 et 2002), augmentation du nombre de personnes suivies en « milieu ouvert » (plus de 120 000 aujourd’hui), allongement de la durée moyenne d’incarcération (de 4 à 8 mois), pourcentage croissant des personnes condamnées pour des atteintes aux personnes (notamment pour des infractions sexuelles), vieillissement de la population carcérale, etc.
Qui va en prison et pour combien de temps ? Qui n’y va plus ou moins et quelles réponses pénales sont apportées à leurs actes ou pas ?

Histoire politique des immigrations (post)coloniales

Depuis une vingtaine d’années, l’histoire de l’immigration en France est passée du statut d’objet plus ou moins illégitime dans le champ des sciences sociales à celui d’objet relativement reconnu, comme en témoigne la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Mais l’histoire politique de l’immigration, l’histoire non pas tant des politiques migratoires que des immigrés en tant que sujets, reste encore a écrire.
Ce déficit d’histoire a des conséquences fâcheuses tant du point de vue scientifique que politique. Alors que l’histoire de l’immigration et de la colonisation est au cœur de controverses mémorielles parfois houleuses, les termes du débat se fondent souvent sur une vision partielle ou erronée des mouvements politiques de l’immigration postcoloniale. Des événements historiques, comme la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 ou des mobilisations comme les mouvements de jeunes musulmans de France, font l’objet soit de discours mystificateurs, soit de disqualifications symboliques.
Ce livre voudrait contribuer à combler ces lacunes en offrant une vision panoramique et dynamique de l’histoire des luttes de l’immigration postcoloniale depuis un siècle. Rassemblant les meilleurs spécialistes du monde universitaire sur la question et les analyses de nombreuses figures importantes du « mouvement autonome de l’immigration », il propose une représentation inédite d’une histoire méconnue et constitue le premier ouvrage de référence sur le sujet publié en France.

Contributeurs : Salah Amokrane, Boualama Azahoum, Saïd Bouamama, Philippe Dewitte, Éric Fassin, Michel Ganozzi, Youssef Girard, Nacira Guénif-souilamas, Mohamed harbi, Saïda Kada, « Kahina X », Tarik Kawtari, Claudie Lesselier, Thierry Levasseur, Yamin Makri, Alain Morice, Laure Pitti, Saadene Sadgui, Sadek Sellam, Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel.

L’Inversion de la question homosexuelle

Dans L’Inversion de la question homosexuelle, Éric Fassin inscrit les débats français, du pacs à l’ouverture du mariage, et de l’homoparentalité à l’homophobie, dans une réflexion plus large sur les enjeux actuels de l’homosexualité. Sans doute s’agit-il ici d’égalité des droits ; mais en même temps se joue une critique des normes, au nom de ce qu’on peut appeler la démocratie sexuelle. Dans ce contexte, l’homosexualité et l’homophobie, de même que la conjugalité et la famille, demandent à être repensées stratégiquement.

Pour le sociologue, ces débats marquent une rupture historique – une inversion de la question homosexuelle. Si depuis un siècle la psychanalyse, l’anthropologie et la sociologie interrogeaient l’homosexualité, c’est aujourd’hui la politique gaie et lesbienne qui met en question ces disciplines et, au-delà, nos sociétés. L’évidence des normes a cédé la place à une interrogation sur le processus normatif. Trouble dans la norme, donc : le normal se découvre normé. L’ordre symbolique ne va plus de soi ; il se révèle à la fois historique et politique, autrement dit sujet au changement et ouvert à la négociation.

Cette nouvelle édition augmentée donne l’occasion de mesurer le chemin parcouru depuis 2005. On n’en a pas fini avec la question homosexuelle. Aujourd’hui en effet, et jusque dans le discours de Nicolas Sarkozy, n’est-ce pas l’hétérosexualité elle-même qui est soumise à la question ?

Marx 1845

« S’intéresser aux « thèses » sur Feuerbach, les lire au sens fort du terme, pour leur faire dire le maximum de ce qu’elles peuvent énoncer, tout en évitant le risque à tout moment menaçant de la surinterprétation, ce n’est pas attendre qu’elles délivrent un message dont la teneur achevée puisse être pour toujours enregistrée et consommée, mais c’est plutôt y voir le témoignage d’un véritable acte de pensée, qui tire de ses incertitudes la force d’avancer, à ses risques et à ses frais, dans une direction non préalablement fixée, et qu’il vaut la peine de prendre au mot. C’est précisément ce que je me suis proposé : saisir ces « thèses » au vif de leur(s) mot(s), et par là, peut-être, arriver à mieux comprendre ce que parler et penser veulent dire, lorsqu’ils sont pratiqués au point de leur plus haute tension, dans une perspective qui, dirait peut-être Marx, ne soit pas seulement d’interprétation, mais aussi de transformation et de réel changement. » (Pierre Macherey)

L’Hydre aux mille têtes

Si l’on s’intéresse à l’histoire de la mondialisation économique, et plus particulièrement à la manière dont elle s’est déployée dans l’espace atlantique, l’on s’aperçoit que deux figures mystérieuses reviennent avec régularité sous la plume des architectes de l’économie atlantique du XVIe siècle au XVIIIe siècle, qu’ils soient princes, prélats, commerçants ou simples colons : Hercule et l’Hydre aux mille têtes.
Hercule symbolise la pérennité de l’ordre social, l’unification des territoires et la force de ces nouveaux conquérants. L’Hydre de Lerne, quant à elle, est son antithèse symbolique, l’agent du désordre et de la sédition qui, pour chaque tête coupée, en fait repousser dix. En un mot, « les criminels déportés, les péons, les radicaux religieux, les pirates, les travailleurs urbains, les soldats, les marins et les esclaves africains ». L’histoire tel qu’on la connaît aujourd’hui a bien sûr été écrite du point de vue d’ « Hercule ». Les historiens Marcus Rediker et Peter Linebaugh, à la manière d’Howard Zinn et de son Histoire populaire des États-Unis, mettent ici un terme à l’ »invisibilité historique » de ce « prolétariat atlantique », cette « classe multi-ethnique qui fut essentielle à l’avènement du capitalisme et à l’ économie globale moderne ». À travers 8 chapitres, ils retracent l’histoire des insurrections qui marquèrent les premiers temps du commerce intercontinentale, au delà des frontières nationales, de classes ou de races, et qui trouvèrent leur aboutissement dans les révolutions française, haïtienne et américaine. Ce livre acclamé par la critique lors de sa sortie aux Etats-Unis est l’un des ouvrages fondateurs de l’histoire atlantique.

La Multitude libre

Relégué pendant longtemps à l’arrière-plan, au profit de l’Éthique et du Traité théologico-politique, le Traité politique est aujourd’hui au cœur des études spinozistes. Son originalité tient en particulier à l’apparition de l’énigmatique concept de « multitude libre », qui se substitue à la théorie du contrat et sert aujourd’hui de référence centrale à un certain nombre de penseurs contemporains, tel Antonio Negri ou Étienne Balibar. Ce nouveau concept permet de penser autrement le problème de la constitution de l’État, de sa production et de sa reproduction à travers la seule logique des affects. Le présent ouvrage fait le point sur les recherches actuelles autour du Traité politique, de la traduction de ses principaux concepts à ses usages possibles pour concevoir le pouvoir et l’émancipation politiques aujourd’hui.

Avec la participation de : Laurent Bove, Paolo Cristofolini, Nicolas Israël, Chantal Jaquet, Frédéric Lordon, André Martins, Alexandre Matheron, Pierre-François Moreau, Vittorio Morfino, Charles Ramond, Pascal Sévérac, Ariel Suhamy et François Zourabichvili.

L’Anomalie sauvage

La véritable politique des philosophes classiques, c’est leur ontologie, tel est le principe qui guide ce livre, écrit en prison pendant les années 1979-1980. Le néoplatonisme de la Renaissance avait forgé l’utopie d’un développement spontané du capitalisme de marché. Mais les grandes philosophies bourgeoises – Descartes, Hobbes, Rousseau, Hegel – devront insérer la crise au cœur de ce développement, et donc de l’ontologie. Pour elles, l’appropriation suppose toujours la médiation dialectique d’un pouvoir qui lui est extérieur. À l’opposé, Spinoza reprend l’exigence révolutionnaire de la Renaissance, mais en transformant complètement son cadre ontologique. Coupant court à toute dialectique, qui n’est jamais que la ruse ultime de la médiation bourgeoise, il pense l’être comme surface, plénitude, multiplicité. Il forme ainsi une théorie de la pratique collective et de la force productive humaine, toujours tendue vers plus d’autonomie. Radicalement matérialiste, cette philosophie qui affirme la puissance contre le pouvoir devient alors une anomalie sauvage, inscrite dans cette autre anomalie historique : la Hollande du XVIIe siècle.

Qu’est-ce que les Lumières radicales ?

Qu’il soit aujourd’hui accepté dans ses significations les plus subversives ou que l’on débatte de son contenu réel, le concept de « Lumières radicales » s’est imposé dans les études historiographiques sur le XVIIe et le XVIIIe siècles : au maximum, comme un concept opératoire déjà mis en œuvre avec succès ou, minimalement, comme un objet d’interrogation et de discussion entre chercheurs. Tout le monde s’accorde sur l’existence d’une « radicalité » au cœur des Lumières. C’est sur le sens, le statut et l’histoire de cette « radicalité » plus ou moins clandestine que s’interrogent les différentes études qui composent cet ouvrage, ainsi que sur la continuité ou les ruptures caractéristiques de l’émergence des pensées et des mouvements contestataires depuis le milieu du XVIIe siècle. Existe-t-il un seul et même mouvement unitaire de la libre pensée au début de l’ère moderne ? Quelle place attribuer au libertinage érudit vis-à-vis de ce qui deviendra les Lumières « radicales » ? Le panthéisme, qui apparaît comme une position majeure du combat des Lumières radicales, enveloppe-t-il un athéisme lui-même radical ou n’exprime-t-il que le fond inavoué voire la vérité même de toute religion ? À la lumière des différentes études qui composent cet ouvrage, c’est la multitude des « radicalités » (dans les contenus, les méthodes, les principes, etc.) qui s’impose.

Études de Margaret Jacob, Jonathan Israel, Jean-Pierre Cavaillé, Gianni Paganini, Antony McKenna, Pim den Boer, Edoardo Tortarolo, Wiep Van Bunge, Olivier Bloch, Fabienne Brugère, Maria Susana Seguin, Miguel Benitez, Anne Thomson, Winfried Schröder, Gianluca Mori, Pierre-François Moreau, Yves Citton, Tristan Dagron, Manfred Walther, Catherine Secretan, Theo Verbeek, Laurent Bove, Catherine Volpilhac-Auger.

La Fabrique de l’impuissance 1

D’un côté, le Parti socialiste au pouvoir s’est fait depuis 1983 l’artisan d’une « modernisation » néolibérale des institutions, alimentant une dérive sécuritaire toujours plus accusée. De l’autre, la « gauche critique » s’est souvent enfermée dans une stratégie de dénonciation du « complot » néolibéral et de défense du compromis social-démocrate hérité de l’après-guerre (1945-1968), défense sans grande efficacité et sans véritable prise sur « les temps nouveaux ». Les uns comme les autres ont persisté à analyser les transformations en cours selon des schèmes d’analyse hérités de l’entre-deux-guerres et des Trente Glorieuses.
La Fabrique de l’impuissance 1 voudrait déterminer les voies possibles d’une sortie de cette double impasse : ralliements aux impératifs du capital ou défense du statu quo. Pour ce faire, il interroge les conditions de la décomposition du bloc politique et culturel que désignait naguère l’expression de « peuple de gauche », il propose une critique du thème de « la lepénisation des esprits », ainsi qu’une analyse des modes d’intervention des intellectuels français dans le débat politique.Ce livre voudrait de la sorte contribuer à la saisie par « la gauche de gauche » des possibilités actuelles de relance du mouvement vers « l’égaliberté » au-delà du compromis incarné par l’État social des Trente Glorieuses.

La fabrique de l’impuissance 2

« L’École républicaine » repose sur une contradiction irréductible : elle est à la fois un facteur de démocratisation et de hiérarchisation. Elle est l’institution qui assure la légitimation de la hiérarchie sociale en la faisant apparaître comme l’expression de l’inégalité des capacités individuelles. L’École produit ainsi, paradoxalement, de l’impuissance : impuissance à parler, à écrire, à lire, à penser. Mais elle est aussi un lieu de diffusion de savoirs et de compétences susceptibles de donner à chacun les moyens d’augmenter son autonomie, sa puissance d’agir et de penser.
Parce qu’il refoule cette ambiguïté, « le débat sur l’École » nous enferme dans un véritable cercle, et nous interdit de réfléchir aux enjeux politiques de la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du rapport aux savoirs et à la parole. Comment faire pour que l’École ne fonctionne pas essentiellement comme une fabrique de l’impuissance ?