Exploiter les vivants

Une synthèse originale qui replace les rapports de domination au cœur de l’écologie politique.

Selon une ritournelle de la politique contemporaine, « l’écologie commence à la maison » : nous serions, en tant qu’individus, les sujets de la transition environnementale. Les pauvres, rétifs au changement, sont traités en barbares à civiliser ou en climato-négationnistes à combattre. A contrario, les citadins éduqués, éclairés et capables de changer de vie, apparaissent comme les seuls agents de la nécessaire transformation des modes de vie et de production. Le scénario de la rupture populaire avec l’écologie et le récit d’une écologie réservée aux riches se renforcent mutuellement.
Pour sortir de ce cadre culpabilisant et stérile, Paul Guillibert traite du grand absent des pensées écologistes : le travail. Il affirme que, de la plantation coloniale au foyer familial, en passant par l’usine, l’écocide résulte de différentes formes d’exploitation du travail (salarié, servile, domestique). Exploitation des humains, certes, mais aussi mise au travail généralisée des vivants. Replacer la production capitaliste au cœur de la crise, c’est rendre possibles de nouvelles alliances entre travailleurs et écologistes, entre humains et autres qu’humains. Et une écologie vraiment émancipatrice.

Défaire le genre

« Dans la mesure où le désir est impliqué dans les normes sociales, il est lié à la question du pouvoir et à celle de savoir qui peut être reconnu comme humain. »

« Faire » son genre implique parfois de défaire les normes dominantes de l’existence sociale. La politique de la subversion qu’esquisse Judith Butler ouvre moins la perspective d’une abolition du genre que celle d’un monde dans lequel le genre serait « défait », dans lequel les normes du genre joueraient tout autrement.
Ce livre s’inscrit dans une démarche indissociablement théorique et pratique : il s’agit, en s’appuyant sur les théories féministe et queer, de faire la genèse de la production du genre et de travailler à défaire l’emprise des formes de normalisation qui rendent certaines vies invivables, ou difficilement vivables, en les excluant du domaine du possible et du pensable. Par cette critique des normes qui gouvernent le genre avec plus ou moins de succès, il s’agit de dégager les conditions de la perpétuation ou de la production de formes de vie plus vivables, plus désirables et moins soumises à la violence.
Judith Butler s’attache notamment à mettre en évidence les contradictions auxquelles sont confrontés ceux et celles qui s’efforcent de penser et transformer le genre. Sans prétendre toujours dépasser ces contradictions, elle suggère la possibilité de les traiter politiquement : « La critique des normes de genre doit se situer dans le contexte des vies telles qu’elles sont vécues et doit être guidée par la question de savoir ce qui permet de maximiser les chances d’une vie vivable et de minimiser la possibilité d’une vie insupportable ou même d’une mort sociale ou littérale. »

Carlo Bonomi

Carlo Bonomi est psychanalyste formateur et superviseur au sein de la Société italienne de psychanalyse Sándor-Ferenczi. Président de l’International Sándor Ferenczi Network (ISFN), il est corédacteur en chef de The Wise Baby/Il poppante saggio et membre du comité éditorial de l’International Forum of Psychoanalysis.

L’effacement du traumatisme

L’invention de la psychanalyse est le produit d’un traumatisme inavoué et refoulé qui s’est logé au cœur du système de pensée de Freud.
Sa découverte conduit Carlo Bonomi à proposer un récit inédit de la fondation de cette discipline.


Au cœur de la psychanalyse se loge un traumatisme inavoué. Ce traumatisme, c’est celui que subit Sigmund Freud le jour où il apprend que l’une de ses patientes a failli mourir des suites d’une opération chirurgicale qu’il avait approuvée. Inconsciemment identifiée à une réitération des mutilations génitales subies par Emma Ekstein durant son enfance, cette opération a en effet suscité en lui de profondes angoisses, faisant écho à la fois à sa propre circoncision, au contexte violemment antisémite de l’époque et à ses conflits avec son père.
La prise en compte de ce fait longtemps resté caché conduit Carlo Bonomi à proposer un récit inédit de la fondation de la psychanalyse. Elle permet notamment de comprendre comment, alors qu’il occultait les mutilations génitales subies par les jeunes filles et les femmes, Freud a pu élever la castration au rang de forme a priori du traumatique. Restaurant à la suite de Sándor Ferenczi ce legs tronqué, l’auteur jette une lumière crue sur les origines du caractère à la fois phallocentrique et « héroïque » de la doctrine freudienne, tout en traçant les voies de leur dépassement.

Vidéoactivismes

Comment retourner les armes de la surveillance pour en faire des outils d’émancipation.

Depuis les années 2000, les vidéos partagées sur internet ont pris une place prépondérante dans les luttes sociales et politiques. Partout, du Liban au Chili, des États-Unis à l’Iran, les manifestations, affrontements et autres exactions policières sont documentés par celles et ceux qui les vivent. En France, les Gilets jaunes n’ont pas cessé de filmer, se filmer et partager leurs images. Mais l’image produit-elle des effets concrets ? À quelles conditions peut-elle devenir un outil efficace de contestation des inégalités et des oppressions ?
Pour clarifier ce problème, il faut replacer ces pratiques récentes dans la plus longue histoire des expériences audiovisuelles militantes. Telle est la proposition de ce livre, qui, des premiers groupes ouvriers français aux expériences états-uniennes de guerrilla television, des collectifs argentins combattant l’hégémonie occidentale au médiactivisme italien, revient sur les tentatives de produire d’autres régimes de visibilité et de représentation. Il nous montre que, par-delà les mutations technologiques, la contestation audiovisuelle obéit toujours au même élan fondamental : arracher l’image au pouvoir, se la réapproprier et, ainsi, mobiliser.

Système et style

« De fait, une idée a toujours animé mes fouilles archéologiques : il faut prendre le langage par le biais de la dialectique du système et du style. »

Qu’est-ce que le langage ? Un système de signes fixé, par exemple, dans les traités de grammaire. Mais, ne l’oublions pas, son existence est aussi conditionnée par les manières toujours variées, souvent fautives, dont les sujets parlants se l’approprient : c’est la dialectique du système et du style. Jean-Jacques Lecercle la place au cœur de sa linguistique alternative, dont il livre ici un exposé aussi succinct que lumineux.
La langue, jamais totalement systématique, consiste en un ensemble de normes plus ou moins stabilisées, soumises aux changements que leur impose le « hors-norme » stylistique. Dès lors, elle n’est pas essentiellement un système idéal abstrait qui s’impose à nous de l’extérieur, mais une partie de la praxis, un phénomène à la fois historique, social, matériel et politique. Les signes et la grammaire sont d’abord des produits de l’activité humaine, faits et défaits en permanence par les locuteurs individuels. Si le sujet est effectivement « interpellé » par des règles qui lui préexistent, il a aussi la possibilité de « contre-interpeller » la langue et, ainsi, d’y introduire une dose irréductible de singularité et de variation.

Pour en finir avec la passion

À l’heure où les procès en cancel culture se multiplient, une approche féministe de la littérature.

Quand il est question de littérature, il y a un motif dont le traitement ne cesse de surprendre : celui de la passion. Confondue – parfois à dessein – avec l’amour, elle est le masque sous lequel se dissimulent toutes sortes d’abus : des manipulations constitutives de la séduction aux situations d’emprise, des dynamiques de harcèlement aux crimes dits « passionnels ».
Cet ouvrage montre comment l’identification des actes des protagonistes d’œuvres littéraires à l’expression d’une « passion » permet d’occulter la question du consentement, celle des rapports de domination et, plus largement, les violences physiques et psychologiques que subissent les femmes. Il souligne la dimension idéologique de l’approche esthétisante des œuvres qui, sous couvert de s’opposer à la cancel culture, passe sous silence le bafouement de la dignité humaine mis en récit.
De Dom Juan à La Princesse de Clèves, des écrits de Choderlos de Laclos à ceux de Marguerite Duras et d’Annie Ernaux, les autrices de ce livre nous invitent à poser un regard lucide sur l’évolution des conceptions culturelles et littéraires dans la société française, ainsi qu’à interroger en profondeur les raisons pour lesquelles l’amour y demeure indissociable de la souffrance.

Antonio Negri

« Le nouveau marxisme de Negri est un rempart contre les dérives post-modernes, contre l’idée d’une fin de l’histoire et de la lutte des classes. Il s’oppose à la représentation de la domination capitaliste comme totale et absolue. »

Cet ouvrage est la première introduction en langue française à l’ensemble de l’œuvre du philosophe et militant Antonio Negri : en effet, ses commentateurs se sont jusqu’à présent en général intéressés exclusivement ou bien à sa période italienne ou bien à ses développements ultérieurs. Son auteur, Roberto Nigro, s’attache à en montrer la cohérence et à la resituer dans ses contextes historiques changeants. Il en souligne le caractère fondamentalement politique, y compris dans ses moments les plus « philosophiques ». Il ne néglige pas les débats qu’elle a suscités, et il relance la discussion sur certaines des thèses de Negri qui ont le plus prêté à discussion. Il insiste sur le dialogue nourri par le philosophe italien avec certains auteurs, en particulier Spinoza, Marx, Althusser, Foucault et Deleuze, pour dégager l’originalité de son intervention dans les champs théorique et politique. Enfin, il insiste sur l’actualité des thèses et des outils conceptuels élaborés par Negri, notamment son affirmation d’un primat de la puissance de la multitude sur toutes les opérations de capture dont elle fait l’objet par les appareils du pouvoir.

La Constitution maltraitée

Pilier de la Ve République, le texte constitutionnel n’en est pas moins maltraité en permanence – et ce, par l’organe même censé en être le garant.

Si l’on évoque souvent la désaffection des Français à l’égard du politique, ce constat n’aboutit que rarement à une critique exigeante des institutions qui alimentent cette dynamique. C’est ce avec quoi Lauréline Fontaine entend rompre, en jetant une lumière crue sur la réalité de la justice constitutionnelle sous la Ve République. Au terme d’une enquête approfondie, elle pose un diagnostic accablant : loin d’être une véritable cour constitutionnelle, le Conseil constitutionnel demeure une instance essentiellement politique. Il ne constitue pas un « contre-pouvoir essentiel », mais une anomalie démocratique.
Au fil d’une réflexion solidement argumentée tant en fait qu’en droit, Lauréline Fontaine défait un à un les mythes qui entourent « les sages de la rue de Montpensier ». Pointant notamment l’absence d’une procédure contradictoire et de garde-fous qui les préservent des conflits d’intérêt, elle démontre que la manière dont la justice constitutionnelle est rendue en France est absolument incompatible avec les principes élémentaires de la démocratie et de l’État de droit.

La copossession du monde

« La propriété ne doit pas être considérée comme la base première de la vie en communauté, mais, au contraire, comme une modalité du commun. »

« La propriété ou le chaos ! » s’écrient en chœur les thuriféraires de l’ordre propriétaire. Parce que, disent-ils, la propriété sépare le tien et le mien, elle protège la liberté individuelle et assure l’harmonie sociale. Condition de l’échange, elle fonde l’activité économique et favorise l’enrichissement collectif. À les écouter, elle n’aurait que des vertus. C’est faire peu de cas de ses funestes conséquences – la pollution et l’épuisement des ressources naturelles, par exemple –, mais c’est aussi abandonner au marché des questions qui devraient relever de la délibération politique.
Or, cet ouvrage le démontre, l’intérêt économique ne se confond pas avec le bien commun. Pour endiguer le creusement des inégalités sociales et la destruction de la planète, on ne peut s’en remettre aux chimères du tout-marché ou de la démocratie de consommateurs. Un radical changement de perspective s’impose : il faut défendre des principes autonomes de justice pour remettre la propriété à sa place et l’envisager non plus comme le socle de la vie en communauté mais, au contraire, comme une modalité du commun intégrant les droits d’autrui et ceux des générations futures.